Yvelines : ils réclament justice pour Emilie, morte à 33 ans après s’être blessée lors d’une manipulation dans le labo de l’Inrae

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Publié le 17/06/2021 16:48:58

Emilie, 33 ans, est décédée de la maladie incurable de Creutzfeldt-Jakob, contractée sept ans plus tôt après un accident du travail dans un laboratoire de Jouy-en-Josas où elle manipulait un agent pathogène hautement infectieux dans des conditions de sécurité inadaptées. L’Inrae, qui fait l’objet d’une enquête pour homicide involontaire, n’a pas formellement reconnu sa responsabilité dans ce drame.

« Justice pour Emilie, sécurité pour tous dans les laboratoires. » La banderole accrochée à l’entrée du centre de recherche de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), à Jouy-en-Josas (Yvelines), marque l’anniversaire de la mort d’Émilie Jaumain. Cette scientifique est décédée le 17 juin 2019, à 33 ans, dans d’atroces souffrances, atteinte du variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, une infection neurodégénérative mortelle.

« À la fin elle n’était plus Emilie, elle ne nous reconnaissait plus, ne mangeait plus, ne respirait plus seule », se souvient un membre de sa famille. « Elle a extrêmement souffert dans la dernière année de sa vie et beaucoup de gens ont dit que c’était dans sa tête, ce qui témoigne d’un certain mépris », regrette Karine, une amie devenue vice-présidente de l’association Emilys, qui lutte pour la protection et la sécurité en laboratoire.

C’est à l’initiative de cet organisme que des amis et collègues d’Emilie ont sensibilisé les employés de l’Inrae ce jeudi. « Un accident du travail toujours pas reconnu », peut-on lire sur les tracts. Ce que l’avocat du centre de recherche dément : « l’Inrae ne conteste plus la possibilité d’un lien de causalité entre l’accident de service et le décès », indique pour la première fois publiquement Me Benoît Chabert.

« Emilie vivait avec cette phobie par rapport à l’accident »

Car Emilie aurait été contaminée sur son lieu de travail, en se piquant le doigt avec une pince. Des faits pas formellement établis mais corroborés par plusieurs médecins. Le 31 mai 2010, Emilie, tout juste diplômée et embauchée en CDD, travaille sur des prions dans un laboratoire confiné. Les agents pathogènes qu’elle manipule sont particulièrement dangereux (niveau 3 sur 4). Contrairement aux prions responsables de la maladie de la vache folle, ceux sur lesquels travaille Emilie sont de souche humaine et non animale. Tout contact avec le sang présente un risque infectieux très élevé.

« Elle n’avait pas reçu de formation à la manipulation des prions, n’avait pas de gants anti-coupure, simplement des gants en latex, et elle travaillait avec une pince coupante métallique au lieu d’une jetable, énumère l’avocat de la famille d’Émilie, Me Julien Bensimhon. Il n’y avait pas de procédure prévue en cas d’accident, ni de protocole affiché dans le laboratoire. »

Seule avec une autre jeune collègue, Emilie panique. On lui plonge la plaie dans de l’eau de javel plus de 15 minutes après l’accident. Trop tard selon les protocoles actuels. Ce jour-là, le médecin de l’établissement est absent. Emilie effectue une déclaration d’accident de service reconnu comme tel par l’Inrae le 30 juin 2019.

Le temps d’incubation de la maladie varie de sept à cinquante ans selon les individus. « Même avant les premiers symptômes, Emilie vivait avec cette phobie par rapport à l’accident », ajoute un membre de sa famille.

« Dans un centre de recherche public on s’attend à être protégé »

La jeune femme quitte l’Inrae en juillet 2010. En novembre 2017, elle commence à ressentir les premières douleurs dans l’épaule, le cou, la fesse. Puis tombe en dépression en 2018. Le mois suivant, elle ne peut plus marcher. Même allongée, ses douleurs sont insupportables, et la morphine n’a aucun effet. Elle est hospitalisée à plusieurs reprises, ses radios, IRM et autres examens ne révèlent rien d’anormal. Car la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne peut être diagnostiquée que par exclusion de toute autre pathologie. Le diagnostic ne sera posé qu’en février 2019 par une médecin de l’hôpital d’Orsay (Essonne).

Deux mois plus tard, la cellule nationale de référence des maladies de Creutzfeldt-Jakob soutient l’hypothèse d’une contamination après la coupure en laboratoire. Un premier référé est engagé contre l’Inrae en juin. Un expert voit la jeune femme 10 jours avant sa mort et en arrive aux mêmes conclusions « selon toute vraisemblance », indique le rapport. Une plainte est déposée contre l’Inrae pour blessure involontaire et mise en danger de la vie d’autrui, avant d’être requalifiée en homicide involontaire.

Le 15 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris commande une nouvelle expertise, notamment pour savoir « si elle avait reçu une formation spécifique ». Jusqu’ici, l’Inrae refusait de communiquer une partie des documents demandés au prétexte qu’une procédure pénale était déjà engagée et que toutes les pièces avaient été transmises au parquet de Paris. L’avocat de la défense, Me Benoît Chabert, annonce ce jeudi que les documents manquants seront toutefois versés au dossier « dans les huit jours ».

« C’était une fille pétillante et très consciencieuse dans son travail », se souviennent encore des collègues. Et de déplorer l’attitude de l’Inrae qui a, devant le tribunal administratif, défendu l’idée qu’Emilie aurait été contaminée après l’ingestion de viande avariée pendant la crise de la vache folle. « Ils se sont enfoncés dans le déni, commente Karine, de l’association Emilys. Quand on vient travailler dans un centre de recherche public on s’attend à être protégé. »

Crédits image et texte : Le Parisien©
Source : https://www.leparisien.fr/yvelines-78/yvelines-ils-reclament-justice-pour-emilie-morte-a-33-ans-apres-une-manipulation-ratee-dans-le-labo-de-linrae-17-06-2021-3PLR5WFA4ZHVNB5IDA7BXARPZA.php