Violences dans le foot amateur. « La disparition du football des villages a de graves conséquences »

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Publié le 20/06/2022 10:15:51

Il n’y a pas que chez les pros que la saison fut houleuse : arbitres agressés, encadrants malmenés… Le football amateur français s’inquiète après une saison marquée par la violence et les incivilités. Tentative d’explications avec le sociologue Williams Nuytens.

L’aggravation des faits de violence dans le football amateur s’explique sans doute par la crise sanitaire, génératrice de « frustration », mais aussi par celle du « bénévolat associatif », explique Williams Nuytens, sociologue et enseignant-chercheur à l’université d’Artois, auteur de L’Épreuve du terrain (PUR, 2011).

Comment expliquez-vous la recrudescence des violences et incivilités dans le football amateur cette saison ?

Le phénomène n’est pas récent et il est très difficile à mesurer. Si on ose l’interprétation, cette aggravation des faits pourrait s’expliquer par la crise sanitaire. Il est possible que le Covid-19 ait suspendu la socialisation et le rapport au règlement, au contrôle de soi. La sociologie de l’agressivité nous montre que lorsque les pratiquants sont fatigués ou impréparés physiquement, comme en début ou en fin de saison, les faits de violence sont plus nombreux. Si deux mois d’arrêt de matches conduisent à une augmentation de la violence, on peut penser qu’après un an et demi, l’augmentation a du sens. La longue coupure a également impacté les arbitres, les éducateurs et les bénévoles. Si ces derniers ont en partie perdu la main sur le contrôle de l’environnement des matches, on peut imaginer que conjoncturellement, l’équilibre des situations a pu être modifié. On connaît aussi la fonction cathartique du football dans la libération des affects et des émotions. Le Covid a créé une forme de frustration. Quand on reprend, c’est l’explosion.

Les débordements observés dans le football professionnel cette saison ont-ils un impact sur la sécurité dans le monde amateur ?

Il y a des ponts. On a vu, notamment, beaucoup de débordements en début de saison par rapport aux supporters. Là aussi, il y a eu la même frustration. Les groupes ne se sont plus rencontrés pendant un an et demi mais les inimitiés ont continué sur la toile et la reprise a été préparée, dans un contexte de faillite des forces de l’ordre et des services de sécurité qui, eux aussi, avaient perdu la main. Dans le football pro, les contestations de joueurs sur les décisions arbitrales sont quasiment devenues la norme. Ce n’est pas acceptable, car le professionnel a ce rôle d’exemple. Quand vous regardez un match à la télévision et que vous voyez vos idoles avoir un comportement contestataire, colérique, irascible, parfois physiquement intimidant, que faites-vous dans votre club ? Vous vous comportez de la même façon.

La situation est-elle particulière au football ?

En lui-même, le football n’est pas plus accidentogène ou criminogène dans ses propriétés. Pourtant, il y a moins de violences, statistiquement, dans les autres pratiques. Pourquoi ? Parce que le football est le seul sport qui réunit autant de licenciés, qui donne lieu à un million de matches par saison, qui se traduit aussi par un fort turnover des dirigeants et des bénévoles. Or la défiance diminue avec la durée de l’engagement associatif : vous aurez beaucoup plus confiance en votre encadrant si vous le connaissez depuis de longues années. La crise du bénévolat associatif et la disparition progressive du football des villages a de graves conséquences. C’est la théorie du petit monde : moins il y a de clubs, d’arbitres ou d’encadrants, plus vous finissez par rencontrer les mêmes personnes régulièrement, ce qui augmente le contrôle des gens sur eux-mêmes. Alors qu’en football, les interactions sont beaucoup moins régulières.

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/sport/football/foot-amateur/violences-dans-le-foot-amateur-la-disparition-du-football-des-villages-a-de-graves-consequences-1ca426c0-f06f-11ec-a1f9-96fad4cda185