Val-d’Oise : 27 ans après, la «femme aux bijoux» du bois de Lassy hante encore les enquêteurs

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Publié le 27/06/2021 11:20:23

COLD CASE. Qui était cette jeune femme dont le squelette a été retrouvé dans un bois, un jour de janvier 1994 par des chasseurs ? L’enquête s’est terminée en 1998 sans avoir répondu à cette question, et cette énigmatique affaire criminelle plane toujours sur le petit village du Val-d’Oise.

Pas de tombe. Juste un endroit approximatif dans le cimetière. « C’est là, dans le coin, à côté de l’église », désigne Gilbert Maugan, le maire (SE) de Lassy, 186 âmes, dans le Val-d’Oise, tout proche de la frontière avec l’Oise. Sous quelques herbes folles, en pleine terre, repose, enterrée sous X, la dépouille d’une jeune femme inconnue d’environ 25 ans. Son squelette a été découvert par un groupe de chasseurs le 29 janvier 1994 dans le « Bois Alix », une petite forêt sur les hauteurs de la commune, loin de toute habitation.

En 2020, le groupe homicides de la Section de recherches (SR) de Versailles (Yvelines) a cherché à rouvrir ce dossier. Il a même été placé en sommet de pile. Mais les magistrats ont refusé. Les faits sont prescrits depuis 2008. L’ADN, s’il avait été prélevé après exhumation, aurait pu être étudié pour trouver potentiellement un proche grâce à une analyse en parentèle, et enfin identifier cette inconnue. En revanche, les scellés n’auraient pas pu être ressortis. Ils ont tous été détruits dans le violent incendie du tribunal de Pontoise en 2003.

C’est la fin d’une matinée d’hiver, en ce début d’année 1994, quand un chasseur manque de tomber en se prenant les pieds dans quelque chose de blanchâtre qui dépasse de la terre, sous les feuilles mortes. Il a buté sur le haut d’un crâne humain. Les gendarmes doivent creuser pour dégager tous les ossements et découvrent que la victime a eu les pieds et poings liés par de la cordelette verte. Elle a ses vêtements, du moins ce qu’il en reste. Un pull-over rouge, une ceinture noire, un imperméable.

L’affaire de l’Inconnue de Lassy n’est pas le seul « Cold case » de la région parisienne et de l’Oise. Loin s’en faut. Régulièrement, nous vous raconterons dans ces colonnes des faits divers oubliés sur lesquels les enquêteurs butent toujours. Si vous souhaitez voir traiter ici des dossiers encore mystérieux, n’hésitez pas à nous écrire en vous rendant à l’adresse suivante : www.leparisien.fr/contact/

De quoi est-elle morte ? Le médecin légiste qui réalise l’autopsie n’est pas en mesure de le dire. L’état de décomposition lui permet en revanche d’avancer que le décès a eu lieu entre octobre 1986 et juillet 1993. Mais des travaux importants en 1988 ont eu lieu dans ce bois fréquenté par les cueilleurs de champignons et le squelette est en bon état. Le corps a donc vraisemblablement été enterré là entre 1988 et 1993. La thèse criminelle ne fait aucun doute à la lumière des constatations et c’est la Section de recherches de Versailles qui est saisie dès le 1er février 1994.

Les enquêteurs listent les pistes de travail. Selon le légiste, cette femme était de type européen, de faible corpulence puisqu’elle mesurait 1,56 m. Et plusieurs détails vont attirer l’attention des gendarmes. D’abord, son état dentaire. Elle a reçu des soins réguliers au cours de sa vie sauf dans les quatre dernières années, période sur laquelle une détérioration a été relevée. Que s’est-il passé durant ces années précédant la mort ? Rien ne permet de le dire mais cela interroge les gendarmes encore aujourd’hui. Cela peut notamment être le signe d’un changement important dans sa vie, peut être d’une dégradation de son quotidien.

Peut-être une cavalière

Sa dentition est également particulière avec une absence d’incisives supérieures, ce qui peut être un marqueur génétique rare. Des parents pourraient avoir une dentition similaire. Les gendarmes feront le tour des dentistes, publieront des appels à témoin dans des revues spécialisées. Et feront une nouvelle fois chou blanc.

Ensuite, une excroissance est notée au niveau du fémur. Une particularité osseuse qui peut être mise en lien avec la pratique de l’équitation. Chantilly et ses Grandes écuries ne sont qu’à une petite dizaine de kilomètres de là. Les gendarmes mènent leurs investigations de ce côté, se rendent à la Clinique des jockeys de la ville princière. Les médecins fouillent dans leurs dossiers, ressortent des radios. Mais ils ne trouvent rien non plus.

Les bijoux retrouvés sur le squelette sont aussi passés à la loupe. La victime en avait plusieurs sur elle, ce qui lui vaudra le surnom de « femme aux bijoux ». Les enquêteurs recensent une chaîne de cou avec un Christ, une gourmette portant le prénom de Thierry, trois bagues, une chaîne de cheville en métal doré et une montre-bracelet Movado numérotée, une marque d’horlogerie suisse.

Ils étudient les poinçons, font le tour des bijoutiers. Cette piste est creusée, les gendarmes rencontrent des fabricants de bijoux, vont jusqu’à Niort, étudient les livres de police des joailliers. Ces pistes débouchent dans des culs-de-sac. La montre pouvait aussi apporter son lot de réponse. Elle datait des années 1960 avait certainement été réparée. À l’intérieur du boîtier, des inscriptions photographiées par « Tonton », un technicien en identification criminelle de la SR de Versailles, ont fini par mener à un réparateur au profil atypique. L’homme, un indépendant travaillant pour plusieurs horlogers, parfois au noir, vivait seul dans un appartement sombre, « glauque » selon un enquêteur, avec des papillons encadrés sur tous les murs. Son environnement sera fait. Qui est-il ? Comment vit-il ? Quels sont ses antécédents ? Mais l’homme décède peu de temps après.

Lors d’une émission télé, « Témoin n°1 » sur TF1, des photos des inscriptions sont diffusées. Une femme reconnaît la signature de son mari qui exerce du côté de La Rochelle. Il a réparé la montre en 1981, mais impossible de retrouver le nom de la propriétaire.

Étude des Recherches dans l’intérêt des familles

Les enquêteurs étudient aussi les fiches des personnes disparues dans le cadre de la procédure de RIF (recherche dans l’intérêt des familles) un dispositif qui n’existe plus aujourd’hui et qui permettait à des proches de disparus majeurs de signaler leur disparition. Si la personne était retrouvée après s’être évanouie dans la nature sans laisser de trace, elle avait la possibilité de s’opposer à la divulgation par les gendarmes des éléments mis au jour. Dans ce cadre, le groupe homicides de la SR a épluché plusieurs milliers de fiches « RIF » de toute la France sans que cela ne permette de donner un nom à l’inconnue.

Un spécialiste du GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) a également été mis à contribution au cours de cette enquête pour étudier les liens qui entravaient la jeune femme. Le militaire était capable de dire si l’auteur avait fait des nœuds marins, des nœuds d’alpinistes ou de déménageurs. Selon lui, ce pourrait être l’œuvre d’un alpiniste.

Enfin, un portrait-robot est réalisé à partir du crâne, fiable à 90-100 % selon l’expert en anthropologie qui le réalise. Cette dernière carte ne permet pas plus d’avancer.

« Les années qui ont suivi, à chaque 14-Juillet, les habitants me demandaient si on l’avait identifiée, si on avait des nouvelles de l’enquête », rembobine Jacques Defrance, maire de Lassy à l’époque. L’ancien premier édile se souvient encore : « Les gendarmes ont procédé à l’inhumation dans le cimetière puisque le corps avait été retrouvé sur la commune. Ils nous avaient prévenus que s’il y avait des développements, ils pourraient venir procéder à l’exhumation. Mais ils ne sont jamais revenus. »

À l’époque, les spéculations sont donc allées bon train. Jeune femme toxicomane ? Prostituée ? Une étrangère ? Les hypothèses de travail des gendarmes n’ont jamais pu être étayées. Une ultime piste sérieuse ne débouchera pas non plus. Les enquêteurs ont un temps cru que l’inconnue était Martine Escadeillas, jeune femme de 24 ans qui s’est évanouie dans la nature en décembre 1986 à Ramonville-Saint-Agne, près de Toulouse (Haute-Garonne). L’amant de Martine s’appelait Thierry, le prénom gravé sur la gourmette porté par le squelette. Mais sa dentition ne correspondait pas.

Après avoir achoppé sur toutes ces pistes de travail, les enquêteurs s’avouent vaincus et la juge Corinne Goetzmann rend un non-lieu en 1998, quatre ans après la découverte du squelette. Plus personne ne fera vivre ce dossier conservé dans un petit carton à la SR Versailles jusqu’à la prescription, 10 ans plus tard à l’époque (passée à 20 ans depuis 2017). L’Inconnue de Lassy le restera donc. Une source proche du dossier conclut : « C’est fou de se dire que cette femme n’a manqué à personne ».

Crédits image et texte : Le Parisien©
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