RÉCIT. Affaire Bonfanti : comment le combat de la famille a mené aux aveux du meurtrier 36 ans après

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Publié le 13/05/2022 19:13:56

Jamais ils n’ont perdu espoir. Plusieurs décennies après la disparition de Marie-Thérèse Bonfanti, dont la trace a été perdue en 1986 à Pontcharra (Isère), la famille Bonfanti est parvenue à relancer l’enquête. L’affaire a pris un nouveau tournant en début de semaine lorsqu’un homme âgé de 56 ans a reconnu l’avoir tuée.

C’est bel et bien un meurtre qui serait à l’origine de la disparition de Marie-Thérèse Bonfanti à Pontcharra (Isère), a-t-on appris après les aveux du principal suspect de l’époque, 36 ans après les faits. Si le corps de la jeune femme de 25 ans à l’époque n’a pas encore été retrouvé, les déclarations de l’accusé devraient mettre un coup d’accélérateur dans ce « cold case », au plus grand soulagement de la famille de la victime.

Mais qu’est-ce qui a permis aux enquêteurs de remettre le nez dans cette enquête qui avait pourtant été conclue par un non-lieu en juillet 1987 « faute d’identification certaine d’un auteur ». On vous raconte les faits, entre 1986 et 2022.

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Le 22 mai 1986, Marie Thérèse Bonfanti, une mère de famille alors âgée de 25 ans, distribue des journaux pour arrondir ses fins de mois. Elle ne rentre pas chez elle après avoir déposé un paquet de journaux dans le hall de la « maison Chatain ». Cette résidence appartient à un couple de commerçants bien connus de la région et abrite six locataires à Pontcharra, en Isère.

L’inquiétude gagne ses proches lorsqu’elle ne revient pas chercher son enfant de six mois chez sa nourrice le soir même et qu’elle ne rentre pas à son domicile. Une voisine certifie pourtant l’avoir vue, un paquet de journaux à la main, vers l’entrée de la résidence.

L’enquête de la gendarmerie de Grenoble ouverte après la disparition permettra rapidement « d’établir le caractère criminel des faits ». Le véhicule de la jeune femme est retrouvé abandonné à quelques mètres de la maison et plusieurs employés travaillant dans une gare à proximité de la maison disent avoir entendu un cri provenant du même endroit.

Deux suspects seront ensuite placés en garde à vue. Thierry Bonfanti, le mari de la disparue qui sera disculpé, et Yves Chatain, propriétaire de la « maison Chatain » et du logement mitoyen.

Faute de preuves, les investigations seront finalement closes en novembre 1987, après plusieurs mois de recherches. C’est une ordonnance de non-lieu à instruire qui marque la fin de l’enquête de la gendarmerie, mais pas de la famille de Marie-Thérèse.

Après plusieurs tentatives des parents de la victime de voir l’enquête sur la disparition de leur fille rouverte, en appel et en cassation, le non-lieu sera confirmé en 1988 et en 1989.

Pourtant, le mari de Marie-Thérèse Bonfanti est persuadé qu’Yves Chatain, qu’il a rencontré alors qu’il recherchait sa femme le jour de la disparition, a quelque chose à voir avec le mystère qui entoure cette affaire. « Quand M. Bonfanti est allé le voir, son attitude de défaussement l’a convaincu qu’il avait quelque chose à voir avec la disparition de son épouse. Il ne regardait pas droit dans les yeux, il était énervé, un peu excité, il avait hâte que M. Bonfanti s’en aille », a confié l’avocat de la famille Bonfanti, Me Bernard Boulloud au Dauphiné .

« Les parents de la victime n’ont ensuite jamais arrêté de porter le dossier », confirme Philippe Folletet, ancien commissaire de police et vice-président régional Auvergne Rhône-Alpes de l’Association de recherche de personnes disparues (ARPD), qui a accompagné la famille dans les démarches qui ont permis de relancer l’enquête.

Malgré le décès des parents de Marie-Thérèse Bonfanti, son mari, ses enfants ainsi que son frère et ses sœurs continuent de croire qu’un jour ils pourront rendre justice à leur proche disparue. « Il faut vraiment s’imaginer passer 10, 15, 20 ou même 30 ans en ayant été maltraités par la police. Alors qu’ils estimaient que tous les éléments étaient rassemblés pour mener une enquête, ils étaient désespérés par l’inertie des enquêteurs », rapporte Philippe Folletet.

C’est en juillet 2019 que les proches de Marie-Thérèse Bonfanti rencontrent l’ARPD. « Nous avons directement échangé ensemble sur la stratégie à adopter », se souvient le vice-président de l’association en Auvergne Rhône-Alpes. Ils balayent rapidement l’idée de chercher de nouveaux éléments de leur côté.

Ils aboutissent finalement ensemble à un mémoire détaillé qui sera transmis au procureur de la République de Grenoble en mars 2020. Ils y détaillent les raisons pour lesquelles ils estiment que l’enquête doit être rouverte. « On a mis en avant les actes qu’on estimait avoir été mal réalisés au moment de l’enquête de 1986, notamment les témoignages des habitants de la maison ou les perquisitions, réalisées de manière très sommaire. »

Le parquet décide alors de reprendre l’enquête là où elle a été laissée et la confie au groupe « cold-case » de la section de recherches de la gendarmerie de Grenoble qui reconstitue le dossier à partir d’archives judiciaires et de documents transmis par la famille de la victime.

« Ils vont procéder à une relecture minutieuse de l’enquête initiale, faire une nouvelle analyse criminelle des faits, réentendre différents témoins de l’époque », a détaillé Boris Duffau, procureur adjoint au palais de Justice de Grenoble lors de la conférence de presse sur le détail des faits, le 12 mai 2022. Cette enquête préliminaire aboutit sur l’ouverture d’une information judiciaire, qui donne un nouveau coup d’accélérateur dans l’affaire.

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Bien que la « maison Chatain » ait été détruite plusieurs années auparavant, les enquêteurs de la section « cold case » grenobloise ont pu disposer de nouveaux outils d’analyse criminelle.

« Avec de nouvelles méthodes, les enquêteurs ont eu une analyse différente du dossier », explique Me Bernard Boulloud à Ouest-France.

C’est à nouveau vers Yves Chatain que se portent les soupçons. Il est alors placé en garde à vue début mai. Le dimanche 8 mai, l’homme passe aux aveux. Il raconte avoir été gêné par le véhicule de Marie-Thérèse Bonfanti et avoir eu une altercation à ce sujet avec la victime. Alors qu’il était rentré à son domicile, il raconte qu’elle est venue le voir pour lui demander de s’excuser. C’est à ce moment-là qu’Yves Chatain affirme avoir saisi sa victime par le cou pour l’étrangler.

Selon ses aveux, il a ensuite chargé le corps dans le coffre de sa voiture et l’a déposé dans la nature après avoir roulé plusieurs kilomètres.

L’homme a été mis en examen pour « enlèvement », « séquestration » et « meurtre ».

Philippe Folletet salue « un travail magistral de la section de recherche », mais assure que « le dossier tel qu’il a permis d’aboutir aux aveux de l’accusé était déjà entre les mains de la justice ».

L’avocat de la famille estime que le contexte de l’époque a pu influencer le travail des enquêteurs dans les années 1980. « Les Chatain étaient une famille de notables, honorablement connue à Pontcharra. Ils possédaient une entreprise, avec plusieurs employés », tandis que la famille de Marie-Thérèse était composée d’ouvriers et d’immigrés italiens. Cette différence sociale « a pu jouer aussi », juge-t-il.

Si Thierry Bonfanti déplore la « légèreté » avec laquelle l’enquête a été menée à l’époque, il estime être libéré. « Avec la disparition de ma femme, c’est comme si j’avais passé 36 ans en prison. Aujourd’hui, je sors de cette prison. Et, maintenant, c’est à lui d’y rentrer », a-t-il commenté dans les colonnes du Dauphiné . Il se réjouit qu’au cours de toutes ces années, « toute la famille n’ait pas lâché. Et cela a payé ».

Alors que les proches de Marie-Thérèse Bonfanti espèrent désormais retrouver les restes du corps de la victime, l’ARPD espère que l’interpellation permettra d’élucider d’autres disparitions à Pontcharra. « Le profil de l’accusé pourrait correspondre dans deux autres disparitions et peut-être qu’il va révéler des affaires à d’autres endroits du territoire national », souligne Philippe Folletet.

Le 9 mai 1985, Marie-Ange Billoud, 19 ans, a disparu alors qu’elle faisait du stop à la sortie de Pontcharra pour se rendre à Chambéry. En octobre 1981, Liliane Chevènement, 41 ans, une secrétaire de la ville, a été retrouvée assassinée un fil de fer autour du cou à 200 mètres de la résidence d’Yves Chatain. Au début des années 2000, un ancien enquêteur de la gendarmerie s’est dit persuadé que ces affaires et celle de Marie-Thérèse Bonfanti étaient liées.

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Source : https://www.ouest-france.fr/societe/justice/recit-affaire-bonfanti-comment-le-combat-de-la-famille-a-mene-aux-aveux-du-meurtrier-36-ans-apres-5bcc1f3a-d29a-11ec-8fd0-9941437d80ae