Que risque Didier Raoult, épinglé par des médecins pour un essai thérapeutique « sauvage » ?

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Publié le 29/05/2023 10:41:15

Le fait de pratiquer ou faire pratiquer une recherche impliquant la personne humaine sans autorisation est passible « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende », précise le Code de la santé publique.

Ses opposants veulent le voir condamné, par la justice et par ses pairs. Dimanche, dans une tribune publiée dans Le Monde, plusieurs instances médicales ont dénoncé l’organisation par le controversé professeur Didier Raoult d’un essai thérapeutique « sauvage », sur des patients atteints de Covid-19 à l’IHU de Marseille, entre 2020 et 2021. Des reproches, s’ils étaient avérés, passibles d’un voire trois ans de prison, ainsi qu’une interdiction d’exercer, en cas de manquements aggravés.

Les inquiétudes des instances médicales signataires de la tribune viennent d’un « preprint » (une étude non relue) paru en mars dernier, et signé par les équipes du professeur Didier Raoult. Le document affirme, dans ses conclusions, que l’hydroxychloroquine réduirait « en partie » les risques de mortalité liée au Covid-19, une affirmation déjà contestée à plusieurs reprises par les autorités de santé.

« On ouvre la voie à un retour à la médecine du XIXe siècle »

Dans cette étude, 30 000 patients Covid se sont vus administrer des « médicaments aussi variés que l’hydroxychloroquine, le zinc, l’ivermectine ou l’azithromycine (…) sans bases pharmacologiques solides, et en l’absence de toute preuve d’efficacité », dénonce la tribune, lancée à l’initiative du professeur Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie au centre hospitalo-universitaire de Bordeaux.

Ces prescriptions ont été poursuivies « pendant plus d’un an après la démonstration formelle de leur inefficacité ». Pour les professionnels de santé signataires du texte, cette étude est la preuve qu’un essai thérapeutique « sauvage » a été mené au sein de l’IHU.

En conséquence, « nous demandons des actions, au niveau pénal, ordinal, du côté de la Haute Autorité de santé, du Comité national d’éthique. Sinon, on ouvre la voie à un retour à la médecine du XIXe siècle, où un médecin pouvait administrer, selon son intuition, n’importe quel médicament à ses patients », appuie Mathieu Molimard auprès du Monde.

Jusqu’à trois ans de prison

Mener des essais thérapeutiques sauvages est clairement condamné par la loi. Le fait de pratiquer ou faire pratiquer une « recherche impliquant la personne humaine » sans autorisation d’un comité de protection de personnes ou d’une autorité compétente, sans évaluation des bénéfices-risques, sans fondement sur le dernier état des connaissances scientifiques est passible « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende », précise le Code de la santé publique.

Cette peine peut passer à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, et s’accompagner d’une interdiction des droits civiques, civils et de famille, ainsi qu’une interdiction d’exercer pendant cinq ans, si les meneurs de l’étude n’ont pas recueilli le consentement libre et éclairé des patients. L’IHU avait-il obtenu les autorisations nécessaires et le consentement des patients pour cette étude sur l’hydroxychloroquine ? Interrogé à ce sujet par Le Monde, le professeur Didier Raoult n’a pas souhaité répondre.

En plus de la justice, les médecins ayant coordonné une étude sauvage peuvent être visés par des mesures disciplinaires de l’Ordre des médecins. « En cas de condamnation, la sanction peut être un avertissement, un blâme, une interdiction d’exercice avec ou sans sursis de la médecine pouvant aller jusqu’à trois ans. La sanction la plus forte étant la radiation du Tableau de l’Ordre », indique l’Ordre des médecins dans une fiche explicative.

Des soupçons en série à l’IHU

En décembre 2021, Didier Raoult avait déjà reçu un blâme pour avoir communiqué « des informations qui ne s’appuyaient sur aucune donnée confirmée », en promouvant l’hydroxychloroquine comme traitement contre le Covid-19.

Ce n’est pas la première fois que l’IHU, dirigé par le professeur Didier Raoult de 2011 à 2022, est épinglé pour des essais soupçonnés d’être irréguliers. Une information judiciaire est déjà ouverte après un rapport cinglant de l’ANSM, pour « faux en écriture », « usage de faux en écriture » et « recherche interventionnelle impliquant une personne humaine non justifiée par sa prise en charge habituelle ».

Un autre rapport d’inspection avait lui aussi pointé les dérives médicales, scientifiques et managériales de l’IHU sous le pilotage de Didier Raoult. Le gouvernement avait d’ailleurs annoncé saisir la justice à ce sujet le 5 septembre dernier. Sur ce volet, le parquet de Marseille est toujours en phase d’analyse.

De son côté, Didier Raoult, remplacé fin août à la tête de l’IHU par Pierre-Édouard Fournier, nie en bloc les accusations qui le visent. Au sein de l’institut, tous les essais cliniques impliquant la personne humaine ont été suspendus depuis le changement de direction. L’institut a indiqué attendre un prochain retour de l’ANSM à ce sujet.

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Source : https://www.leparisien.fr/faits-divers/que-risque-didier-raoult-epingle-par-des-medecins-pour-un-essai-therapeutique-sauvage-29-05-2023-WJPPTODD2JF3VEINQBJLOWJ67Y.php