Procès de l’attentat de Nice : « On n’est pas victime qu’un soir, c’est toute notre vie »

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Publié le 22/09/2022 18:46:18

La cour d’assises spéciale entend depuis mercredi les témoignages de parties civiles au procès de l’attaque au camion-bélier à Nice, le 14 juillet 2016. Sébastien, 50 ans, a raconté comment il s’est retrouvé sur la Promenade des Anglais, au milieu de personnes décédées, à tenir la main d’une fille de 12 ans blessée. Et les répercussions de cette soirée tragique dans sa vie.

Il voulait « témoigner pour toutes les victimes qu’il a eues autour de lui ce soir-là ». Au procès de l’attentat au camion-bélier à Nice, Sébastien, 50 ans, a fait le récit de ce qu’il a vécu après le feu d’artifice du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais : « Je marchais en direction du Vieux-Nice en regardant mon portable. Et tout d’un coup cette masse blanche est passée à côté de moi. J’ai tourné la tête machinalement. J’ai en tête ce bruit horrible chaque fois qu’il percutait une personne ».

« C’était une panique générale. Des gens hurlaient, couraient. Et moi je suis resté à regarder le camion continuer sa route. Et j’ai vu cette petite fille par terre. Je lui ai pris la main et je ne l’ai plus lâchée […]. Elle avait perdu la vue. Elle était brûlée partout, avait le visage tuméfié. Elle était vraiment dans un sale état en fait. »

« Elle me répétait son âge, son nom. Me demandait où était sa famille. Mais j’avais peur de lui dire ce qu’il se passait, peur qu’elle panique. Quand je levais la tête, je voyais tout […]. Quand d’un coup le camion s’est arrêté plus loin, ça a tiré. Les gens se cachaient. Moi, je suis resté au milieu du parterre de gens morts. Je me suis allongé à côté d’elle parce que je me suis dit que s’il y avait une balle perdue, je serais un peu plus à l’abri. La fusillade a duré assez longtemps. Puis les gens ont commencé à revenir un peu sur la zone où j’étais. »

« Ça a été très dur à vivre, parce que chaque fois que je levais la tête, je voyais des morts… Aucun être humain n’est prêt à vivre ça. J’ai vu un homme agoniser sous mes yeux […]. J’aurais tellement voulu lui donner la main pour qu’il puisse partir dignement. J’ai appris après que c’était l’oncle d’Emma. […]. Quand elle me demandait où était sa famille, j’avais conscience qu’ils étaient autour de nous. Je n’imaginais pas qu’elle ait pu être seule sur la Promenade. »

« On est resté cinquante minutes au milieu de ça. Plusieurs fois Emma a fermé les yeux, a voulu partir, mais je la gardais consciente parce que je ne voulais pas la perdre. Les pompiers sont arrivés mais n’avaient pas de brancard. On la mise sur une barrière de travaux et on l’a emmenée dans un hôtel où étaient rassemblées des victimes. Je suis resté quinze bonnes minutes avec elle. Comme elle continuait de me demander où était sa famille, et qu’elle m’avait donné son nom et une adresse près du Negresco, je l’ai laissée avec un sauveteur, parce que je voulais croire aussi que ses proches étaient en vie. »

« Je suis sorti de la zone où il y avait toutes les victimes. Mais quand j’ai voulu revenir, les policiers m’en ont empêché, parce qu’il y avait encore une alerte. C’était toujours très confus, donc j’ai pas pu revenir. Ça a été un vrai déchirement pour moi. J’ai eu l’impression d’avoir abandonné Emma. Je suis rentré chez moi, mais j’ai pas dormi de la nuit. Et je suis revenu le lendemain pour essayer de la retrouver. »

« En marchant dans les rues, j’ai retrouvé son adresse par hasard. Personne n’a répondu, mais j’ai parlé au gardien de l’immeuble et laissé mon numéro. La maman d’Emma m’a rappelé après. Elle m’a dit qu’Emma était en vie. Et qu’ils avaient perdu trois proches. On s’est retrouvés plus tard […]. »

« Après ça, j’ai eu six ans compliqués. Je dois vivre avec ça, ça s’imprègne en vous, tout ce drame est dans votre personnalité, dans votre chair. J’ai perdu la vue durant 24 heures six mois plus tard. J’ai perdu ma petite amie quatre ans après. J’ai perdu beaucoup d’amis. En fait on se rend pas compte de toutes les répercussions qu’il peut y avoir. On n’est pas victime qu’un soir. Les gens qui ont vécu le drame de l’extérieur sont passés à autre chose une semaine plus tard. Nous, c’est toute notre vie avec ça. »

« Moi j’ai eu la chance ce soir-là de tomber sur Emma qui s’est battue pour vivre. Si elle était morte dans mes bras, je pense que je ne serai pas devant vous. J’ai vécu beaucoup de dépressions, voulu mourir souvent. Mais je l’ai jamais fait pour Emma, parce que je ne voulais pas qu’elle vive avec ça sur la conscience. Avant j’étais l’homme le plus positif. […] Depuis je vis avec ça. J’ai créé ma société pour rester dans la vie active. Je me suis accroché, c’est un combat de tous les jours. »

« Les médecins ne sont pas à la hauteur du drame. Une psychologue m’a dit des choses horribles […]. Mais il y a eu aussi des gens incroyables : mon avocate, des gens qui vous soutiennent, des associations. Heureusement que des gens sont là pour nous écouter, c’est important […] Moi je suis heureux de voir Emma grandir. Elle a eu son bac avec mention «bien». J’essaie d’être là le plus possible. »

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/attentat-nice/proces-de-l-attentat-de-nice-on-n-est-pas-victime-qu-un-soir-c-est-toute-notre-vie-f0def208-3a7a-11ed-9b76-9edc71c5adb1