Nucléaire : cinq minutes pour comprendre l’enquête sur la centrale de Tricastin

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Publié le 09/06/2022 10:59:35

Un ancien cadre de la centrale avait porté plainte fin 2021, accusant la direction d’avoir caché ou minimisé des anomalies ces cinq dernières années. Le parquet de Marseille a ouvert en mai une information judicaire contre X.

EDF a-t-il dissimulé des incidents à la centrale nucléaire de Tricastin, l’une des plus anciennes de France ? C’est ce qu’affirme un cadre du site drômois dans une plainte qu’il a déposée en octobre 2021 et qui visait le groupe français ainsi que la direction de la centrale. Une enquête a été ouverte début mai pour tenter de faire la lumière sur ces accusations. On fait le point.

Que raconte le plaignant ?

Hugo, un prénom d’emprunt, accuse sa hiérarchie de l’avoir placardisé pour avoir dénoncé « une politique de dissimulation » d’incidents de sûreté survenus entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2021 à la centrale de Tricastin, située à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Il sollicite depuis le statut de lanceur d’alerte.

Entré à EDF en 2004, Hugo devient chef de service à Tricastin en septembre 2016. Mais rapidement, selon sa plainte, le climat se révèle « particulièrement tendu, dans la perspective de la visite décennale ». L’étape est déterminante pour obtenir l’autorisation de poursuivre l’exploitation au-delà de quarante ans. « Un certain nombre d’incidents au sein de la centrale ont eu lieu, contribuant à la dégradation des relations » entre Hugo et son supérieur hiérarchique, dit la plainte.

L’ancien cadre décrit notamment une fuite survenue en août 2018 dans l’un des bâtiments électriques de la centrale. Dans l’urgence, les agents avaient eu recours à de simples raclettes et à un aspirateur emprunté à un prestataire de nettoyage pour tenter d’absorber l’inondation, indique le Monde. Hugo évoque une autre anomalie apparue en juin 2017 : une surpuissance d’un des quatre réacteurs de la centrale. D’après sa plainte, ces incidents n’auraient pas été déclarés à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou l’auraient été de façon à les « minimiser ».

L’ingénieur assure aussi qu’un inspecteur aurait été mis sous pression lors d’une visite en juillet 2018 de l’inspection nucléaire, chargée d’évaluer la sûreté des centrales. Selon Hugo, la consigne avait été donnée de « le pousser à bout et le dégager », précise le Monde.

Aujourd’hui en attente d’affectation, l’ingénieur de 42 ans se dit toujours « passionné par le nucléaire ». « Ce combat a renforcé ma volonté de me battre pour la sûreté des installations, qui concourt directement à la protection des populations et de la planète », estime-t-il.

Quelles sont les infractions visées ?

L’information judiciaire contre X qui a été ouverte en mai vise une douzaine d’infractions au Code pénal et au Code de l’environnement. Parmi elles, la « non-déclaration d’incident ou d’accident », la « mise en danger d’autrui », « faux et usage de faux », « déversement dans l’eau par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence d’une substance entraînant des effets nuisibles », ou encore « obstacle au contrôle des inspecteurs de la sûreté nucléaire ». L’enquête retient aussi l’infraction de « harcèlement moral », dont Hugo affirme avoir été victime pour avoir refusé de prendre part à la stratégie de dissimulation qu’il dénonce.

« L’ouverture d’une information judiciaire pour de telles qualifications, à l’encontre d’un opérateur économique de premier plan, constitue une décision exceptionnelle », ont déclaré auprès de l’AFP les avocats du plaignant, Vincent Brengarth et William Bourdon.

Qui mène l’enquête ?

En octobre dernier, Hugo avait déposé plainte devant le tribunal judiciaire de Paris. Mais c’est celui de Marseille qui s’est finalement emparé du dossier, car la centrale de Tricastin est située dans sa zone de compétences géographique, détaille le Monde. Le pôle de santé publique de Marseille est chargé de l’enquête.

Que dit l’Autorité de sûreté nucléaire ?

En février 2021, l’ASN avait ouvert la voie à la poursuite de l’exploitation des plus vieux réacteurs, dont ceux de Tricastin, au-delà de quarante ans, enjoignant à EDF de réaliser des travaux pour améliorer leur sûreté. En novembre, quelques jours après la plainte d’Hugo, l’inspecteur en chef de l’ASN avait assuré que les inspections menées à la centrale n’avaient « pas amené à constater d’événements qui auraient été masqués ». Selon lui, il pouvait y avoir « un arbitrage interne à la centrale » sur les déclarations d’incident.

« Si l’exploitant n’indique pas à l’ASN les événements tels qu’ils se sont déroulés, il est difficile pour l’Autorité de sûreté nucléaire d’en avoir connaissance », déclarait Hugo dans l’émission de France Culture « Les Pieds sur Terre » en janvier. « Elle peut en découvrir parfois dans le cadre d’inspection mais la déclaration d’événements en France est basée sur un principe de transparence de l’exploitant EDF vis-à-vis de l’ASN. » Et l’ingénieur de s’agacer : « J’ai toujours pensé naïvement que la boussole de chacune et chacun des salariés au sein d’une centrale nucléaire, c’était la sûreté totale et absolue, et qu’aucun enjeu, quel qu’il soit, ne pouvait justifier que la sûreté ne soit pas la priorité. Je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le cas. »

Et EDF ?

EDF « prend acte de l’ouverture d’une information judiciaire et se tient à l’entière disposition des autorités compétentes », indique l’entreprise au Parisien. Dans un droit de réponse publié en novembre dans le Monde, qui avait interviewé Hugo, l’entreprise française avait démenti les accusations de son ancien cadre, précisant qu’il était « en conflit ouvert avec son employeur et sa hiérarchie depuis plusieurs années » et qu’il avait « jusqu’ici été débouté des quatre actions intentées contre le groupe auprès des instances judiciaires et administratives ».

Cette affaire intervient alors que le géant de l’énergie est confronté à de sérieux problèmes de corrosion de son parc nucléaire. À ce jour, 12 réacteurs sur 56 sont à l’arrêt pour un phénomène de « corrosion sous contrainte » avérée ou soupçonnée, selon un dernier point de situation détaillé par le groupe le 19 mai. Ces difficultés, qui grèvent la situation financière de l’entreprise, tombent mal, à un moment où le groupe est confronté à toute une série de défis cruciaux pour son avenir : assurer la transition environnementale et la souveraineté énergétique de la France, revenue au premier plan avec la guerre en Ukraine.

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Source : https://www.leparisien.fr/faits-divers/nucleaire-cinq-minutes-pour-comprendre-lenquete-sur-la-centrale-de-tricastin-09-06-2022-DOEQY65PTBGALACQXFTHQTFJU4.php