Le livre choc de deux flics sur les suicides dans la police : «On ne s’attaque pas aux problèmes de management»

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Publié le 27/01/2023 15:17:17

Alors qu’en 2022, 46 suicides ont été recensés chez les policiers, Laure Garcia, policière en poste à Marseille et Marc La Mola, ancien fonctionnaire de police, ont sorti un livre consacré à ce sujet qui met mal à l’aise leur hiérarchie. Interview.

« Un policier se suicide à Paris peu avant sa convocation à l’IGPN », titrait notre journal le 24 juin 2022. Ou encore dans le Val-d’Oise, le 31 août 2022, « un policier du commissariat d’Argenteuil retrouvé mort à son domicile ». Et c’est ainsi dans nos colonnes tout au long de l’année. En février, c’était un fonctionnaire de police, rattaché à la BAC de Villepinte (Seine-Saint-Denis), qui se donnait la mort chez lui. Début août, il y avait aussi eu ce fonctionnaire de 37 ans du commissariat de Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne) qui pressait la détente de son arme de service au poste.

En raison du nombre important de policiers qui y exercent l’Île-de-France est toujours en tête de ce triste classement des suicides des fonctionnaires qui endeuillent toute une institution. Toutes forces de sécurité confondues (police municipale, nationale, gendarmerie, gardiens de prison, douane), en 2022 en France, il y a eu 78 passages à l’acte. 46 étaient des policiers. Pour parler de ce fléau qui en fait la première cause de mortalité pour des métiers qui peuvent pourtant se révéler dangereux sur le terrain, une fonctionnaire de police en exercice à Marseille et un ancien de la fameuse bac nord de la cité phocéenne qui, dégoûté a rendu sa plaque et son flingue, ont sorti un livre au titre choc, Je suis flic et ce soir je vais me suicider (éditions Ring).

Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre sur les suicides dans la police ?

Laure Garcia : Quand début 2022, il y a eu un mois de janvier catastrophique (NDLR : 12 suicides pour ce seul mois). M. Darmanin avait réuni les syndicats et associations qui ont émergé par la force des collègues. À l’issue de cette réunion, on a eu un nouveau numéro d’appel ce qui est assez incroyable puisqu’on en était au troisième numéro instauré.

Marc La Mola : Il faut avoir le courage de faire part de ses faiblesses sur ce numéro. Le fonctionnaire qui ferait cela, ça le placerait au pilori. Notre but, c’est d’essayer d’enrayer le phénomène en mettant le doigt sur les causes.

« J’allais mal avant ma démission personne ne s’en est inquiété »

Rien n’est fait ? Quels sont les rôles des syndicats ?

Marc La Mola : Ils font ce qu’ils peuvent avec le peu de moyens qu’ils ont. Ils sont sensibles à ce phénomène et à cette cause mais il n’y a pas de résonance au niveau du ministère. Il n’y a quasiment pas d’écoute.

Laure Garcia : J’ai été syndicaliste à Unité SGP-Police donc je peux en parler. Ils font ce qu’ils peuvent pour défendre les intérêts des collègues. Mais c’est très difficile de faire prendre conscience à un ministère qui est sourd. La problématique c’est que personne ne s’attaque aux causes de ces suicides. Après ce mois de janvier 2022 dramatique il y a aussi eu la création des Sentinelles. C’est bien sur le papier. Mais maintenant on a le recul nécessaire… Ils voulaient en arriver à 2 000 formés fin 2022 alors qu’en juin il n’y en avait que 81 qui étaient formés. Le ministère a demandé de désigner des personnes volontaires. 80 % des désignés sont des commandants ou des commissaires qui ne sont absolument pas au plus près des collègues en difficulté. Encore une fois, c’est de la poudre de perlimpinpin… Aucun gardien de la paix n’ira vers cette sentinelle qui est son supérieur hiérarchique pour lui dire je vais mal.

Marc La Mola : J’allais mal avant ma démission personne ne s’en est inquiété. À chaque fois, on va trouver des mesurettes, ouvrir des numéros verts… l’administration est un gros bateau.

« Une hiérarchie et un management qui a été piqué aux pires entreprises privées »

Les chiffres montrent qu’il y a plus de morts chez les forces de l’ordre à cause des suicides que lors d’interventions sur le terrain. Quelle est votre réaction ?

Laure Garcia : C’est choquant. On rend hommage aux gendarmes et aux policiers tués en service, on fait des minutes de silence mais jamais on ne le fait pour des collègues qui se suicident.

Dès qu’il y a un suicide, la situation personnelle du fonctionnaire est souvent mise en avant. Cela vous inspire quoi ?

Marc La Mola : Bien évidemment, on a conscience que c’est multifactoriel mais pas une fois on ne remet en cause le fonctionnement intrinsèque de la police avec une hiérarchie et un management qui a été piqué aux pires entreprises privées et adapté pour entrer dans l’entonnoir policier. La grande majorité des suicides ce sont des gens qui sont issus de la base. Les commissaires qui se suicident, ça n’existe pas (NDLR : nous avons retrouvé dans nos archives plusieurs suicides de commissaires à Rennes, Toulouse ou encore Montargis). Pas une fois on ne s’attaque à ces problèmes de management, de prime au résultat, de pression qui est mise sur les fonctionnaires de base.

Laure Garcia : C’est tellement nébuleux que c’est difficile à prouver que ces passages à l’acte sont dus au service. Quand ils ne vont pas bien, les collègues ne peuvent pas le dire. Et à côté de ça, il y a toute la pression par rapport au travail que l’on doit rendre pour satisfaire des statistiques qui vont remonter au ministère de l’Intérieur. Tout ça c’est une accumulation, une cocotte-minute qui explose. Un collègue qui passe à l’acte, généralement, on le sait que c’est quelqu’un qui n’était pas bien, mis de côté. Et dans certaines affaires, des lettres destinées aux familles ont disparu…

« On demande aux fonctionnaires d’effectuer une amende forfaitaire par jour »

Comment a évolué la hiérarchie de la police ?

Marc La Mola : Avant, on avait une hiérarchie qui était une hiérarchie de policiers qui connaissaient notre boulot. On avait cet esprit de corps. Aujourd’hui malheureusement la police ressemble aussi à la société. Les commissaires se sont transformés à l’instar de l’hôpital qui était dirigé par des médecins et qui est dirigé aujourd’hui par des énarques. Je qualifie le corps de commissaires de caste. Leur grande majorité sont de vrais managers. Ils ne sont pas beaucoup, 1700, et ils se protègent. Ils mettent en place un management qui contribue largement à savonner la planche sur laquelle les policiers glissent.

Laure Garcia : Par exemple, l’accent est mis sur les amendes forfaitaires délictuelles qui vont s’étendre à d’autres délits comme les vols simples. Une amende forfaitaire délictuelle équivaut à un fait élucidé et c’est très facile à faire. On demande aux fonctionnaires, même en police secours d’effectuer une amende forfaitaire par jour. Cette pression-là les collègues n’en peuvent plus. On devient une police chiffrée, une police d’entreprise où le chef d’entreprise, le commissaire, demande attention il me faut mes amendes forfaitaires délictuelles pour avoir de bonnes statistiques à présenter en réunion hebdomadaire au DDSP (NDLR : Directeur départemental de la sécurité publique) qui, lui, va ensuite les présenter au préfet et ainsi de suite. L’amende forfaitaire délictuelle aurait pu être une bonne chose pour désengorger la procédure mais qui est détournée pour faire des affaires élucidées. Et les chefs de service touchent des primes colossales sur la base de ces chiffres, l’indemnité de représentation et de performance (IRP). Dans le même temps, les gardiens de la paix vont se battre pour une prime de 500 euros à la fin de l’année.

Avez-vous demandé l’autorisation à l’administration avant d’écrire ce livre ?

Laure Garcia : Juste avant la parution, j’ai fourni un exemplaire à mon chef de service pour qu’il sache à quoi s’attendre. À chaque fois que j’ai eu des interventions médiatiques, j’ai prévenu. Je n’ai eu aucun retour.

Marc La Mola : Ce silence est-ce que c’est du mépris ? C’est assez surprenant. C’est un sujet qui fait peur à l’administration centrale et au ministère. On n’est pas dans la polémique mais dans la défense des collègues.

Et que disent vos collègues ?

Laure Garcia : Ils nous disent on aurait pu l’écrire nous. Ça leur fait du bien, enfin c’est écrit. Nous avons aussi eu des retours de familles endeuillées.

Je suis flic et ce soir je vais me suicider, de Marc La Mola et Laure Garcia, éditions Ring. 18 euros

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