La chronique de Jean-Claude Guillebaud : refusons d’être encore terrorisés

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Publié le 05/11/2021 11:27:16

L’essayiste revient, à l’occasion du procès des attentats du 13 Novembre, sur notre appréhension face au terrorisme

Je rappelle que le procès des attentats du 13 Novembre s’est ouvert le 8 septembre 2021. Il est prévu pour durer jusqu’à fin mai 2022, soit neuf mois. Six ans après les attaques terroristes au Stade de France, au Bataclan et sur des terrasses parisiennes, plus de 2 200 parties civiles sont inscrites et plusieurs centaines d’avocats prévus. C’est un grand procès pour l’histoire. Avec le recul du temps, on approchera au plus près de l’effrayante vérité. On le vérifie déjà avec les premières audiences.

La cour d’assises spécialement composée doit juger quatorze accusés présents à l’audience et six autres absents, présumés morts en Syrie, ou détenu en Turquie pour l’un d’eux. Les débats se tiennent sous très haute sécurité dans une salle construite ex nihilo à l’emplacement de la salle des pas perdus et aux dimensions hors normes : 45 mètres de long, une capacité de 550 personnes.

Que voulaient les tueurs du 13 novembre 2015 et que voudront ceux du futur ? D’abord nous faire trembler, et surtout nous encourager à la violence intercommunautaire. À cette « guerre civile » qu’évoque à tout bout de champ, et de façon irresponsable Éric Zemmour.

Non à la violence « vengeresse »

Rien ne réjouirait plus leurs commanditaires qu’une violence « vengeresse » qui s’exercerait demain contre les Français musulmans, les réfugiés de Calais ou d’ailleurs. C’est une victoire psychique qu’escomptaient les terroristes, et c’est la « grosse caisse » médiatique qu’ils voulaient faire retentir. Ils ont été satisfaits. Il est vrai qu’à la longue, ils avaient appris à piéger les médias.

Jean-Claude Guillebaud.

“S O”

Souvenons-nous. Devant ces crimes, une rhétorique se mettait en branle et un vocabulaire fleurissait : horreur, carnage, apocalypse, troisième guerre mondiale. Sans même s’en rendre compte, cette surenchère dans la grandiloquence médiatique ne faisait qu’obéir docilement aux terroristes eux-mêmes. À l’avenir, il faudra résister à cette idiote complaisance.

Nous avions oublié à quel point l’état de paix demeure fragile, abrité derrière une mince pellicule de civilité

Cette fois, le 13 novembre, la cible des terroristes n’était ni des caricaturistes de « Charlie Hebdo », ni des juifs, ni même des chrétiens, des socialistes ou je ne sais qui. La cible, c’était tout le monde, vous et moi. Le but visé était rigoureusement statistique : tuer le plus de gens possible.

J’ajoute que pour la première fois sur le sol français, les tueurs étaient des kamikazes prêts à mourir. Cette « nouveauté » affaiblissait la stratégie de nos forces de sécurité. Une nouvelle asymétrie s’était créée entre ceux que la mort indiffère et ceux qui – comme nous –, attachent encore un grand prix à la vie humaine. Le « sang-froid » des terroristes tenait à cela.

La guerre, sortie de notre paysage mental

Avant même d’armer leurs Kalachnikov, ils savaient qu’ils allaient mourir. Leur « professionnalisme » était psychotique. À ce consentement au « sacrifice », nous ne pouvions opposer que notre technologie et notre savoir-faire policier. Or, l’une et l’autre forcément peuvent toujours être pris en défaut.

Nous aurons probablement d’autres attentats, peut-être beaucoup et même si certains sont déjoués, grâce à la qualité de nos services. Il faut nous y préparer, collectivement. Ce ne sera pas simple. Les Européens que nous sommes sont en paix depuis soixante-dix ans ! Si l’on excepte les guerres de la décolonisation et les brefs soubresauts dans l’ex-Yougoslavie, voilà deux générations que la guerre était sortie de notre paysage mental.

Nous avions oublié à quel point l’état de paix demeure fragile, abrité derrière une mince pellicule de civilité. L’intensité de l’émotion qui nous saisit quand la violence et la barbarie font retour s’explique par cette longue accoutumance. Nous avions fini par penser – à tort – que la paix était l’état naturel d’une société. Il nous faut, de toute urgence, réapprendre à penser la pire violence sans trop paniquer. Ne serait-ce que pour en limiter la sauvagerie.

En attendant, refusons d’être terrorisés.

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