Fuite de verdict à Bobigny : les hommes qui ont fait pression sur le juré condamnés

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Publié le 15/06/2021 18:58:27

Après le coup de théâtre de février 2019, deux hommes originaires de Bondy (Seine-Saint-Denis) étaient jugés pour intimidation d’un juré. Ils ont écopé de peines de prison ce mardi devant le tribunal correctionnel. Le juré mis en cause devra lui effectuer un stage de citoyenneté.

« Désolé de ce qui s’est passé, sincèrement… Et merci ! » Soulagé de ne pas retourner en prison, c’est par ces mots de Mohamed A. alias Razmo que s’est tournée la page judiciaire, ouverte il y a deux ans, pour corruption de jurés à Bobigny. Le tribunal correctionnel l’a condamné ce mardi, avec un de ses amis, Anthony F., surnommé Butch, à deux ans de prison pour intimidation d’un juré. Les deux trentenaires originaires de Bondy ont déjà effectué neuf et douze mois de détention provisoire et leur peine est aménageable.

Quant au juré qui a divulgué le verdict sur Snapchat, Joachim D., « Djo » il a été condamné à dix mois de prison avec sursis ainsi qu’un stage de citoyenneté. Tous trois sont privés d’exercer leurs droits civiques pendant cinq ans.

Le soir du 7 février 2019, le verdict s’était répandu comme une traînée de poudre dans la salle des assises, vingt minutes avant le retour de la cour. Pendant deux semaines, on avait jugé huit accusés pour une affaire de séquestration ultraviolente à Aulnay-sous-Bois, après la disparition d’un chargement de drogue en 2014.

«Si la frontière a été franchie, c’est seulement au nom d’une proximité»

« Je tiens encore à m’excuser des dégâts causés auprès de la justice, je suis prêt à réparer mes erreurs », a soutenu l’ancien juré qui avait communiqué le verdict à Butch par message. En tant que juré suppléant, il n’avait pas droit au vote mais avait assisté à tout le procès et au débat final, après avoir juré de garder le secret. Et à l’issue, il était allé dîner avec Butch et Razmo.

C’est Butch, qui l’avait sollicité pendant le procès. Il avait deux amis dans le box et avait reconnu Djo, un jeune de la mosquée, parmi les jurés. « Si la frontière a été franchie, c’est seulement au nom d’une proximité, d’un entregent de voisinage, plus par voyeurisme ou curiosité extrêmement mal placée » a plaidé Me Raphael Chiche, avocat de Razmo, écartant toute volonté d’intimidation.

« L’affaire a fait pschitt », pour Me Aurélien Gallochat, l’avocat de Butch. Aucune preuve d’achat de vote ni de pression telle, que les jurés se seraient sentis dans l’obligation d’acquitter massivement. Quand bien même le nombre d’acquittements était inattendu (six sur huit) et que le président de la cour d’assises de l’époque, Philippe Jean-Draeher les qualifiaient, dans une note interne, d’ « infondés ».

«En étant juré en Seine-Saint-Denis, vous êtes protégé par la justice»

« Ils n’avaient absolument pas besoin de menacer, [le juré] a 23 ans, et se sent obligé de les écouter et ne veut pas que son statut de juré s’ébruite dans la cité », a développé le procureur Adrien Luneau avant de requérir des peines qu’il a qualifiées de « lourdes ». Il a même fait une comparaison avec une affaire d’intimidation en Corse. « Vous allez aussi devoir dire qu’en étant juré en Seine-Saint-Denis, vous êtes protégé par la justice » a-t-il insisté. Il avait demandé une requalification des faits en « acte d’intimidation commis envers un juré » passible de trois ans de prison au lieu de dix.

Le tribunal l’a entendu. Mais n’est pas non plus resté sourd à Me Agathe Grenouillet, l’avocate du juré, qui réclamait « une peine utile à la société, comme des travaux d’intérêt général ou un stage de citoyenneté ». « Ce dossier, ce n’est pas le procès de la justice en Seine-Saint-Denis » a insisté l’avocate, ou « des jurés populaires » mais d’ un homme « qui n’a pas pris la mesure du serment ».

Personne ne songe à ce stade à faire appel de cette décision. Le chapitre n’est pas pour autant définitivement clos autour de cette affaire. Les deux victimes des tortures et actes de barbarie attendent toujours, sept ans après les faits, d’être indemnisées. Les juges doivent se prononcer la semaine prochaine.

Crédits image et texte : Le Parisien©
Source : https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/fuite-de-verdict-a-bobigny-les-hommes-qui-ont-fait-pression-sur-le-jure-condamnes-15-06-2021-KDZ57BRB2BBE5OX7SOPSTQH7FY.php