Féminicide. Sa sœur a été brûlée vive par son compagnon, elle témoigne dans un livre

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Publié le 12/05/2022 18:34:16

Quatre ans se sont écoulés depuis l’assassinat de sa sœur Ghislaine, brûlée volontairement par son compagnon au Plessis Robinson (Hauts-de-Seine). Sandrine Bouchait a décidé de prendre la parole dans le livre « Elle le quitte, il la tue » pour dénoncer le système judiciaire et le délaissement des familles des victimes.

C’est dans un bureau de la police judiciaire de Nanterre que Sandrine Bouchait a appris que sa sœur Ghislaine avait été brûlée vive par son compagnon au Plessis Robinson (Hauts-de-Seine). Une scène effroyable à laquelle leur fille Cloé, âgée de 7 ans, a assisté. Après cette annonce, Sandrine Bouchait a dû se battre seule pour obtenir justice, sauver l’enfant et garder à flot sa famille. Dans son ouvrage Elle le quitte, il la tue, publié aux éditions de l’Archipel (2022), elle revient sur son combat et sur la création de l’Union nationale des familles de féminicide (UNFF).

Un vendredi de septembre 2017, une dispute éclate dans un appartement du Plessis Robinson. Par un SMS anonyme, Christophe avait appris quelques jours auparavant que sa compagne avait rencontré un autre homme. Depuis, il la surveillait et venait la chercher chaque fois au travail. Ce soir-là, Ghislaine décide de faire ses valises et prend la décision de partir avec leur fille. Christophe entre dans une folie meurtrière. Il frappe Ghislaine avec une violence inouïe alors que l’enfant le supplie d’arrêter. La femme hurle. Il attrape ensuite une bouteille et jette un liquide sur sa compagne qui crie à Cloé de se réfugier dans la chambre. Il actionne un briquet et met le feu.

Une liste des signaux faibles

En voyant de la fumée pénétrer dans sa chambre, Cloé alerte les voisins. Deux jeunes défoncent la porte d’entrée et la petite leur saute dans les bras. Ghislaine, elle, gît sur le sol. Son corps est brûlé à 92 % mais elle est encore en vie. Christophe, lui, est grièvement blessé. Tous seront hospitalisés. Ghislaine décédera le dimanche suivant.

Sandrine Bouchait et toute sa famille tombent des nues en apprenant les faits. « C’est une trahison. Il est le parrain de mon fils aîné. Mon frère et lui étaient de vrais potes. Ils allaient à la pêche ensemble », nous explique-t-elle. Personne n’a su détecter les signaux faibles lancés par Ghislaine avant le drame. Sa sœur a tenu à les lister dans une annexe de son ouvrage afin d’éviter de nouveaux drames, a repéré Le Parisien. « Le chantage au suicide revient régulièrement dans les témoignages que j’ai pu recueillir dans ces affaires », nous glisse-t-elle. Un violentomètre a également été ajouté à la fin du livre.

Pas d’accompagnement psychologique

Après l’annonce du drame, les proches de Ghislaine ont dû gérer seuls leur douleur. « Aucun accompagnement psychologique n’est prévu pour la famille proche des victimes de féminicide », dénonce Sandrine Bouchait. Elle a fini par demander à être suivie par un professionnel tout comme sa mère. Elle a également cofondé l’Union nationale des familles de féminicide qui accompagne les proches des victimes et qui milite pour des peines plus sévères à l’égard des auteurs de féminicides. « Nous souhaitons une mesure d’éloignement, un suivi à leurs frais et une suspension immédiate de l’autorité parentale. Il y a trop de laxisme en France. »

Hospitalisée durant quelques jours après les faits, Cloé s’est murée dans le silence. « Quand on lui a appris la mort de sa mère, elle n’a pas pleuré. Elle a dit qu’elle ne voulait pas faire de peine à sa famille. » Elle s’est rendue ensuite aux obsèques de sa mère sans qu’aucun professionnel ne l’ait préparée psychologiquement à cette épreuve. « Ghislaine avait émis le souhait d’être incinérée. J’avais demandé à la psychologue de l’hôpital d’expliquer à Cloé. Quand je suis arrivée le matin, Cloé ne savait rien et m’a demandé : pourquoi maman va-t-elle être brûlée une seconde fois ? »

Sans doudou, sans cartable

Du jour au lendemain, Cloé perd sa mère et doit continuer à vivre loin de son père. Une épreuve qu’elle doit gérer sans repère comme la grande majorité des enfants de mères victimes de féminicides. « Toutes leurs affaires personnelles comme leur doudou, leur cartable, leurs jeux sont mis sous scellés », regrette Sandrine Bouchait. Elle a eu de la chance. Quinze jours après les faits, la police décide de pénétrer dans l’appartement pour récupérer les poissons de la famille et vider le frigo. « Ils m’ont prévenue. J’ai pu m’y rendre afin de prendre son doudou ainsi que son carnet de santé et sa pièce d’identité. » Cette visite reste un douloureux souvenir. « C’était une vision d’horreur. J’ai marché où ma sœur était allongée. »

Autorité parentale

C’est la première fois que Sandrine Bouchait retournait sur place. La deuxième fois, c’était 18 mois après, lorsqu’on lui a appris que la famille de la victime était chargée de nettoyer la scène de crime. « Mon avocat a récupéré les clés au tribunal quand l’instruction était presque terminée. Nous avons dû briser nous-même les scellés. C’est inconcevable et horrible. J’ai notamment écrit ce livre pour que les personnes sachent. »

Cloé a été accueillie chez sa tante. Christophe a été condamné à 20 ans de réclusion en janvier 2020. Sandrine Bouchait s’est battue pour qu’il perde son autorité parentale. Elle a obtenu gain de cause ce qui n’est pas toujours le cas dans le cadre d’un féminicide. « Depuis leur prison, les pères autorisent leurs enfants à porter un appareil dentaire ou à participer à une sortie scolaire. C’est inacceptable ! S’ils tuent la mère de leurs enfants, ils ne peuvent pas être de bons pères », s’emporte-t-elle.

Dire la vérité aux enfants

Aujourd’hui, Cloé va bien. Elle vit toujours chez Sandrine Bouchait et a suivi une thérapie durant trois ans. Elle a décidé de ne pas voir son père avant sa sortie de prison et parle peu de lui. Elle a demandé à ne plus porter le nom de son père. « Je lui ai demandé récemment de noter sa nouvelle vie. Elle lui a donné 9,5/10 car l’adoption n’avait pas encore été faite. C’est désormais le cas », annonce sa tante.

Bien décidée à ce que Cloé ne devienne jamais « une victime » de féminicide ou « un futur bourreau », Sandrine Bouchait ne lui a jamais caché la vérité ni ses sentiments à l’égard de son père. « Il ne faut surtout pas mentir pour ne pas avoir de secret de famille et voir le schéma se répéter. Je lui ai dit que je ne lui pardonnerai jamais et que sa mère n’était pas morte par accident. Son père a fait quelque chose d’interdit et il a été puni. » La tante n’interdit évidemment pas Cloé de continuer à chérir son père. « Je lui ai dit qu’elle avait droit de l’aimer et de détester ce qu’il avait fait. »

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/feminicide/feminicide-sa-soeur-a-ete-brulee-vive-par-son-compagnon-elle-temoigne-dans-un-livre-7766641