ENTRETIEN. Violences conjugales : le jour où la mannequin Cindy Bruna a arrêté d’avoir peur

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Publié le 12/06/2022 09:30:10

Reine des défilés de mode et des couvertures de magazine, Cindy Bruna raconte sa part d’ombre. Une enfance marquée par les violences subies par sa mère.

Elle arrive maquillée et les cheveux tirés. Après notre entretien dans un café parisien, à deux pas de la place de l’Étoile, elle ira faire un shooting une séance de photo pour un grand magazine. Cindy Bruna, 27 ans, est mannequin. Rarement la nature se montre d’une générosité sans limite. Elle lui a offert une beauté de roman.

Mais parfois l’éclat de son visage se voile d’une ombre. Enfant, elle a vu sa mère subir des violences conjugales de tous ordres. Elle le raconte dans un livre. Pour exorciser les souvenirs et soutenir toutes les femmes qui n’osent pas porter plainte.

Ce que vous racontez touche à l’intime. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Pendant le confinement, je me suis retrouvée avec ma maman et ma sœur. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas été réunies. Nous avons discuté. J’ai proposé à ma mère d’écrire elle-même le livre. Elle était plutôt enthousiaste. Mais six mois plus tard, je l’ai retrouvée très perturbée par ça. Je me suis sentie coupable. Et j’ai compris qu’écrire ce livre, c’était pour me libérer moi, car je ne m’étais jamais autorisée à parler. Elle m’a donné son feu vert pour que je le fasse.

Votre mère va bien aujourd’hui ?

Je ne veux pas rentrer dans les détails sur sa vie actuelle, car je veux la protéger. Mais je peux vous dire qu’aujourd’hui, elle est heureuse.

Elle revient de loin… Quand on lit ce genre de témoignage, on se demande toujours comment une femme peut tenir aussi longtemps ?

Je n’ai pas voulu lui poser cette question, car je trouve qu’elle est très culpabilisante pour une victime. On ne demande pas assez aux coupables pourquoi il a été si violent aussi longtemps… Depuis 2017, je suis engagée auprès de l’association Solidarité femmes. Cela m’a permis de mieux comprendre les mécanismes de ce fléau.

Ils sont complexes et dans votre cas, s’étalent dans le temps, c’est bien ça ?

Bien sûr. Ma mère, d’origine congolaise, a rapidement divorcé à son arrivée en France. C’est à ce moment qu’elle a rencontré mon beau-père. Il semblait gentil, il lui apportait un cadre de vie sécurisant pour elle et ses deux filles, ma sœur aînée et moi. Et puis, la violence s’est petit à petit installée, liée en grande partie à l’alcoolisme.

Vous décrivez des scènes de colère très violentes dans les gestes et les paroles et des moments familiaux joyeux…

C’est tout le piège… On a vécu de très belles vacances, des moments de paix et puis des déferlements de haine. Je pense que ma mère voulait croire qu’elle pouvait le guérir de tous ces démons. Et puis l’alcool reprenait le dessus et on redoutait les soirs où il rentrait tard et où tout pouvait basculer pour ma mère. Des violences physiques, verbales, sexuelles…

On ne ressent pas de colère de votre part dans ce livre.

Je ne l’ai pas écrit contre lui. Je l’ai écrit pour moi, pour ma mère et ma sœur et pour toutes les femmes et leurs enfants qui subissent ce type de violences sans oser s’en aller ou porter plainte.

Pour vous, elles ont duré combien de temps ?

Mes premiers souvenirs remontent à l’âge de 6 ans et jusqu’au lycée. Moment où nous sommes parties. Pendant longtemps, le sujet était comme tabou. On avait réussi à s’en sortir, alors on ne voulait pas en parler.

Votre métier a été une libération ?

Oui, je suis devenue une jeune femme libre, forte, indépendante, je voyageais dans le monde entier. Et puis un jour, je l’ai recroisé et je suis redevenue la petite fille de 6 ans qui avait peur. C’est là que j’ai compris qu’il fallait que je me libère de cette histoire. Je n’en étais pas du tout guérie.

Comment êtes-vous devenue mannequin ?

J’ai été repérée l’été de mes 16 ans. Je suis allée à Paris pendant mes vacances scolaires pour faire mes premiers castings. Je voyais ça comme un job d’été, pas comme un vrai métier qui s’ouvrait à moi.

Et pourtant…

Je voulais devenir expert-comptable et puis, les castings ont marché. À 18 ans, je me suis installée à Paris et je suis ensuite allée habiter à New York. Je parlais à peine anglais.

Vous avez une image dégradée des hommes après cette enfance ?

Je ne veux surtout pas faire de généralités. J’ai eu la chance d’avoir mon vrai papa. Il n’a pas été parfait, mais j’avais beaucoup d’amour pour lui (il est décédé). Ma sœur est très heureuse avec son mari. Non, je n’ai pas perdu ma confiance dans les hommes. J’ai une vie sentimentale, tout va bien. (Elle rit.)

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/violences/entretien-violences-conjugales-le-jour-ou-la-mannequin-cindy-bruna-a-arrete-d-avoir-peur-7a74ddee-e8cc-11ec-9353-88b2d5bf4dee