COMMENTAIRE. Elles s’appelaient Julie, Élise, Lily…

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Publié le 06/01/2023 07:01:14

Plus de 100 féminicides ont été recensés en France en 2022. Une femme tuée tous les trois jours… Un fléau sociétal. « Non, on ne tue pas par amour. Non, on ne tue pas par peur d’être seul. Non, on ne tue pas parce qu’on est jaloux », rappelle Laetitia Greffié, rédactrice en chef à Ouest-France.

Elles s’appelaient Julie, Laetitia, Lily, Jocelyne, Mélanie, Monique, Élise… Elles étaient infirmières, sans emploi, retraitées… Elles avaient des rêves et des passions. Une vie à vivre ou à partager. Elles sont mortes, tuées par leur conjoint ou ex-conjoint.

Féminicide : le mot est désormais inscrit dans notre quotidien. Son sens ? Le meurtre d’une femme, d’une fille, en raison de son sexe. Entré dans le Petit Robert en 2015, le terme a longtemps été occulté par des « crimes passionnels » et autres « drames de la jalousie ». Expressions aisées pour dédouaner un acte odieux.

« En France, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. » C’est la phrase corollaire de la réalité des féminicides, relayée notamment par les associations féministes ces dernières années. Une affirmation galvaudée ? On peut le craindre, tant ces crimes semblent encore perçus comme une addition de faits divers. Quand il faut clairement y voir un fléau qui perdure dans la société française.

C’est ce que confirme cette enquête d’un an de la rédaction Ouest-France, que nous publions, menée par notre consœur Jennifer Chainay, sur les féminicides en France en 2022 : elles sont 104 femmes (1), victimes d’une gangrène silencieuse, qui, si elle doit être mesurée pour dire l’ampleur de ce drame, ne doit surtout pas se résumer à un morbide comptage. « Nous sommes clairement face à un fléau sociétal, affirme notre consœur. C’est ce que disent ce recensement, les reportages et témoignages que nous avons réalisés. »

Les féminicides, ce sont aussi la vie d’enfants brisée, qui ont parfois vu leur mère mourir. Ce sont des familles entières ballottées entre chagrin, culpabilité, tristesse de voir leur fille, sœur, nièce, disparaître dans une forme d’indifférence… « Que ma sœur ne soit pas juste un fait divers », nous dit ce frère. C’est pour elles et pour eux que nous avons voulu redonner un nom à chacune. Parce qu’elles ne sont pas des chiffres mais des personnes.

Est-ce suffisant pour lutter contre l’inconcevable ? Évidemment non.

En France, depuis le Grenelle des violences faites aux femmes en 2019, des mesures ont été prises : téléphones grave danger, bracelets anti-rapprochement, contrôle des armes, instance de suivi dans les tribunaux, formation des gendarmes et des policiers… La France doit continuer de s’inspirer de l’Espagne, qui a réussi, même si la tâche reste immense, à faire baisser les féminicides de 35 % en moins de vingt ans. Mais aussi de son engagement financier : en 2020, l’Espagne consacrait trois fois plus que la France à cette lutte essentielle.

Ces mesures, nous les jugerons toujours insuffisantes. Mais il est aussi de notre devoir de citoyen de prendre notre place. Dans l’attention aux autres, le discours que nous tenons à nos fils et nos filles, l’écoute face à la douleur.

Pour Charlotte Beluet, procureure de la République à Blois, « un féminicide est un crime de possession. Ce qui se joue, c’est ce que l’on voit en l’autre. C’est un objet qui vous appartient, plus une personne. »

Non, on ne tue pas par amour. Non, on ne tue pas par peur d’être seul. Non, on ne tue pas parce qu’on est jaloux. Jamais nous ne devons nous y résigner.

(1) Le recensement des féminicides a été mis en avant par les associations féministes (Nous toutes, féminicides par compagnons ou ex…). Il est aussi réalisé par le ministère de l’Intérieur. Nous avons recensé les cas de féminicide par conjoint ou ex, lorsque le suspect a été mis en examen ou est décédé et que le féminicide a été avéré.

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/feminicide/commentaire-elles-s-appelaient-julie-elise-lily-a1b2e3b4-8c6a-11ed-9fb2-0b86ee40425f