Au procès du 13-Novembre, « le mythe » du quatrième commando contesté

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Publié le 15/06/2022 18:27:03

Le Pakistanais Muhammad Usman et l’Algérien Adel Haddadi devaient-ils constituer un quatrième commando le 13 novembre 2015 ? Leurs avocats ont réfuté cette accusation, tout en plaidant que leurs clients avaient beaucoup changé.

Le soir des attentats du 13 novembre 2015, Daech avait-il programmé un quatrième commando en France, outre les trois groupes qui ont frappé le Stade de France, les terrasses parisiennes et la salle du Bataclan ? C’est la thèse de l’accusation qui estime que deux des accusés avaient été envoyés de Syrie en Europe pour participer à ces attentats : Muhammad Usman et Adel Haddadi contre lesquels les avocats généraux ont requis vingt ans de réclusion criminelle pour association de malfaiteurs à caractère terroriste (AMT). Cette infraction permet de juger et de condamner un homme avant d’avoir commis ​un délit ou un crime, précise Me Léa Dordilly, avocate d’Adel Haddadi, redoutant tous les excès accusatoires que l’AMT peut engendrer.

Seulement voilà, ces accusés qui voyageaient avec de faux passeports syriens, ont été repérés au passage de la frontière grecque, début octobre 2015 et incarcérés à Kos durant près d’un mois. Les deux Irakiens qui se sont fait exploser au Stade de France et qui voyageaient en leur compagnie, avaient, eux, pu passer sans se faire repérer.

Libérés, Muhammad Usman et Adel Haddadi avaient ensuite repris leur périple européen, avant d’être interpellés dans un camp de migrants à Salzbourg (Autriche), le 10 décembre 2015.

Pour autant, ces deux-là devaient-ils nécessairement intégrer les commandos du 13-Novembre ? Les avocats d’Usman, non seulement en doutent, mais ont tenté de démontrer que ce n’était pas possible. Pour Me Edward Huylebrouck, l’hypothèse d’un quatrième commando n’est rien d’autre qu’un mythe​.

Retrouvez notre direct sur l’audience du mercredi 15 juin 2022 au procès des attentats du 13 novembre 2015.

Aucun des avocats ne conteste que ces deux accusés, qui avaient rejoint les rangs de Daech en Syrie, ont été envoyés en Europe pour commettre une action violente. Il a séjourné en Syrie. Son appartenance à l’État islamique est incontestable. On ne plaide pas l’acquittement​, précisent Me Edward Huylebrouck et Me Karim Laoufi, avocats de Muhammad Usman. Il reconnaît les faits de l’association de malfaiteurs terroriste​, note également Me Simon Clémenceau, avocat d’Adel Haddadi.

C’est l’appartenance de ces deux-là au projet des attentats du 13-Novembre que contestent les avocats. Première objection, de l’été 2015 à mars 2016, Daech a envoyé en Europe, via la route des migrants syriens et irakiens, nombre de djihadistes. Sur les douze individus qui ont été projetés en Europe entre le 1er septembre et le 14 octobre 2015, seuls cinq ont rejoint la cellule terroriste en Belgique​, note Me Huylebouck. Pour lui, Usman est un projeté parmi d’autres​.

Il en veut encore pour preuve le temps mis par ces deux accusés pour traverser l’Europe : Quarante-cinq jours pour relier l’Autriche depuis Raqqa, c’est un rythme d’escargot​, insiste-t-il. Entre le moment où ils quittent la Grèce et celui où ils arrivent à Salzbourg, ils se passent six jours. C’est une progression pour le moins maladroite​, confirme Me Léa Dordilly, avocate d’Adel Haddadi. En somme, ont-ils été des accusés en retard, comme le maintient l’accusation, ou ont-ils traîné les pieds en chemin car finalement peu déterminés à commettre un attentat, comme ils l’ont soutenu durant le procès ?

Mais surtout, Me Huylebrouck se base sur l’ordinateur des terroristes retrouvé dans une poubelle de la rue Max Roos à Schaerbeek, en mars 2016. Il contient un dossier 13 novembre​, créé le 7 novembre 2015. Et cinq sous-dossiers : trois évoquant les cibles du Stade de France, des terrasses et du Bataclan. Et deux intitulés métro et Schiphol, créés le 10 novembre. Soit trois jours seulement avant les attentats. Usman et Haddadi auraient-ils pu faire partie d’un commando devant agir dans le métro parisien ? Impossible, selon l’avocat, car le 11 novembre Muhammad Usman arrive en Macédoine et que le 13 novembre, il se trouve probablement en Slovénie. Les cibles du 13-Novembre n’ont été déterminées que quelques jours auparavant. Les 2 500 victimes de ce procès, avec tout le respect qu’on leur doit, ne sont pas celles de Muhammad Usman​, plaide Me Huylebrouck.

La démonstration suffira-t-elle pour autant à abaisser la peine demandée par les avocats généraux : vingt ans de réclusion criminelle, une peine de sûreté des deux tiers et l’interdiction définitive du territoire français, soit le maximum possible pour l’AMT ? Sur ce point, les avocats ont demandé à la cour de tenir compte de la personnalité de ces deux hommes auxquels l’audience aura finalement consacré peu de temps : cinq heures d’audition pour Muhammad Usman en près de dix mois de procès.

Imagine-t-on le choc que fut pour ce Pakistanais son arrivée en Europe, lui qui a fréquenté les madrasas, ces écoles coraniques, qui ne connaissait comme musique que les chants islamiques et dont la vie était rythmée par les fêtes religieuses​, insiste Me Huylebrouck. Pourquoi a-t-il choisi l’État islamique ?​, interroge Me Dordilly, avocate d’Adel Haddadi. Peut-être pour fuir son quotidien, suggère-t-elle. Celui d’un Algérien, pâtissier de formation, vivant pauvrement… Il vous l’a dit : Je voulais trouver une issue à ma vie… Parfois, le départ compte plus que la destination​, plaide-t-elle. Et vous ne pourrez pas ne pas tenir compte que ce sont grâce à ses déclarations, en octobre 2016, que l’identification d’Oussama Atar, le commanditaire des attentats, a été possible​, rappelle Me Simon Clémenceau.

Concernant ces deux accusés qu’on aura finalement peu entendus, c’est l’une des interrogations qu’aura à se poser la cour : jusqu’à quel point ont-ils renoncé aujourd’hui à leurs convictions djihadistes de 2015 ?

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Source : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/au-proces-du-13-novembre-le-mythe-du-quatrieme-commando-conteste-c4b1eaa2-ecb2-11ec-9b9f-57df627a087b