Au procès du 13-Novembre, la défense tente d’apporter des nuances

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Publié le 13/06/2022 18:53:15

Les plaidoiries de la défense ont débuté ce lundi 13 juin 2022, au procès du 13-Novembre. Ce sont les avocats d’Ali Oulkadi et Hamza Attou qui ont débuté. L’un des accusés a ramené Salah Abdeslam de Paris à Bruxelles, le 14 novembre 2015. L’autre l’a conduit vers une planque.

Ali Oulkadi n’avait rien à faire à cette audience​, conclut Me Judith Lévy, une des deux avocates de cet accusé. Ali Oulkadi, un électricien qui aura 38 ans le mois prochain, est l’un des trois accusés qui comparaissent libres au procès des attentats du 13 novembre 2015. Et alors qu’il a déjà effectué trente et un mois de détention provisoire (entre 2015 et 2018), les avocats généraux ont requis cinq ans d’emprisonnement contre lui. Autrement dit, potentiellement, ce père de trois enfants peut retourner derrière les barreaux.

Retrouvez notre direct sur l’audience du lundi 13 juin 2022 au procès des attentats du 13 novembre 2015.

Vous êtes quelqu’un de bien, M. Oulkadi​, lui lance son autre avocate, Me Marie Dosé, au moment de plaider. L’avocate estime même que c’est pour cela que Salah Abdeslam a fait appel à lui le 14 novembre 2015 : Car qui aurait l’idée de penser à Ali Oulkadi pour ces attentats ? Qui songerait à un père de famille ?​, insiste Me Dosé.

Ce jour-là, vers midi, Salah Abdeslam vient de rentrer à Bruxelles avec l’aide de Mohammed Amri et de Hamza Attou. Ce dernier des deux appelle Ali Oulkadi en lui demandant de le rejoindre dans un bar de Laeken. C’est là, sur place, qu’il découvre la présence de Salah Abdeslam, apprend la mort de Brahim Abdeslam – son ami qui s’est fait exploser au Comptoir Voltaire – et l’implication de Salah Abdeslam qu’il connaît moins. À cet instant, Salah Abdeslam ne lui révèle pas dans le détail le déroulement des attentats. Juste quelques brèves informations.

Lors de son audition, Ali Oulkadi avait précisé que malgré ces révélations, sur le coup, il avait eu du mal à imaginer que l’individu qu’il avait alors en face de lui, ce 14 novembre 2015, le petit frère de son ami, était un terroriste. Ali avait face à lui quelqu’un de stressé, les yeux gonflés, qui se plaçait en situation de s’être fait piéger ​en acceptant de louer des voitures ou des planques pour les terroristes, rappelle Me Dosé. Alors ce jour-là, Ali Oulkadi a accepté de transporter Salah Abdeslam quelques kilomètres plus loin, à proximité d’une planque de la cellule terroriste, à Schaerbeek. Un expert psychiatre vous l’a dit : il a découvert la mort de Brahim Abdeslam, son ami, dans une stupeur qui l’empêchait d’apprécier la réalité des faits​, rappelle l’avocate.

Autre élément à charge : Ali Oulkadi fréquentait aussi le café Les Béguines où les frères Abdeslam visionnaient des vidéos de Daech. Un témoin vous l’a dit : quand Brahim Abdeslam s’est radicalisé et s’est mis à dire n’importe quoi, Ali Oulkadi intervenait pour dire qu’il n’était pas d’accord​, note Me Lévy. L’avocate déplore le raisonnement du ministère public : Si je vais dans un bar, qu’une personne fume un joint à côté de moi et si je retourne dans ce bar, cela signifie donc que je pourrai être poursuivi pour trafic de stupéfiants… C’est ça la logique ?

Les deux avocates fulminent encore. Elles en veulent à certains avocats de parties civiles qui ont parlé des quatorze accusés présents de manière générique. Sans faire de distinguo entre ceux qui encourent la perpétuité et leur client. Elles ont au contraire apprécié que certaines victimes, lors des suspensions d’audience, viennent discuter avec les trois accusés sur les marches du palais. Avec l’une d’elles, ces dernières semaines, ils ont même visité la salle du Bataclan : Cet instant le marquera à jamais. C’est probablement le plus beau pont​, entre victimes et accusés, qu’aura créé cette audience​, souligne Me Dosé.

Hamza Attou est l’un des autres accusés comparaissant libres. Lui aussi risque gros. La semaine dernière, les avocats généraux ont requis contre le plus jeune des accusés, âgé de 28 ans, six ans de prison avec mandat de dépôt à l’audience. Celui qui servait et vendait du shit au café Les Béguines, tenu par Brahim Abdeslam, a déjà effectué deux ans et demi de détention provisoire.

Hamza Attou, avec Mohammed Amri, est allé chercher Salah Abdeslam à Châtillon, dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015. Ce soir-là, au moment de partir de Bruxelles, il soutient ne pas avoir su que Salah Abdeslam était impliqué dans les attentats. Selon ses déclarations, il avait à peine entendu parler des attentats en France. Nous, ça nous semble inconcevable qu’il n’ait rien su des attaques. Nous, ici, nous étions submergés d’infos. Mais à 300 km d’ici ? Il pensait aller chercher un copain en galère de voiture​, reste persuadée l’une de ses deux avocates, Me Delphine Boesel, avec Delphine Paci.

Quelques instants auparavant, Me Marie Dosé avait posé cette interrogation : Quel Français se souvient de ce qu’il faisait au moment des attentats de Madrid et de Londres ? ​Qui plus est Hamza Attou, fumeur d’une vingtaine de joints par jour et buveur, qui n’a jamais caché son peu d’intérêt pour l’actualité.

En revanche, ce qui est sûr, c’est que le sur le chemin du retour, Hamza Attou et Mohammed Amri connaissent l’implication de Salah Abdeslam. Pour autant, lorsque le trio s’arrête dans une station essence, Attou et Amri ne laissent pas leur pote en plan. Lors des trois contrôles routiers, durant le trajet, ils ne livrent pas davantage leur copain aux gendarmes. Hamza Attou répond même à une journaliste qui les interviewe, que ces contrôles successifs sont un peu abusifs​. Me Chemla, avocat de nombreuses parties civiles, avait estimé que cette seule réponse suffisait à démontrer que le trio était loin d’être sidéré par la situation…

Il a répondu comme un gamin qui exagère​, insiste Me Boesel qui rappelle à plusieurs reprises que son client n’avait que 21 ans en novembre 2015. L’avocate retranscrit l’atmosphère qui pouvait régner dans la voiture, sur le chemin vers Bruxelles : Entre la peur, l’ambiance menaçante, le shit et la fatigue, à 21 ans, Hamza Attou n’était pas en capacité de prendre les bonnes décisions. Ce qu’on lui reproche, lui qu’un expert a décrit comme naïf voire crédule, c’est de ne pas avoir su dire non​, soulève-t-elle.

Citant les paroles d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, Me Boesel interroge : On ne saura jamais si nous aurions fait mieux que lui…

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/au-proces-du-13-novembre-la-defense-tente-d-apporter-des-nuances-47f33ee2-eb1a-11ec-b0aa-e4a7523566de