Au procès du 13-Novembre, l’intermédiaire des faux papiers sortira-t-il bientôt de prison ?

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Publié le 16/06/2022 18:49:22

Farid Kharkhach a permis à la cellule terroriste de se fournir en faux papiers. Juste trois, selon ses avocats et sans savoir que le djihadiste à qui ils étaient destinés, était radicalisé. Au procès du 13-Novembre, les plaidoiries de la défense se poursuivent.

Non, Farid Kharkhach n’a pas dîné avec le diable​, défend Me Fanny Vial, l’une des deux avocates de cet accusé, jugé pour avoir fourni de faux papiers aux djihadistes. L’avocate répondait ainsi à l’avocate générale, Camille Hennetier, qui avait accusé les petites mains ​des attentats d’avoir conclu un pacte avec le prince des Ténèbres en acceptant d’aider les membres de la cellule terroriste. Contre Farid Kharkhach, poursuivi pour association de malfaiteurs à caractère terroriste (AMT), les trois avocats généraux ont requis, la semaine dernière, six ans d’emprisonnement.

Retrouvez notre direct sur l’audience du jeudi 16 juin 2022 au procès des attentats du 13 novembre 2015.

D’entrée, Me Fanny Vial annonce la couleur : elle et sa consœur, Me Marie Lefrancq, vont plaider l’acquittement de leur client pour l’AMT. Et demander une plus sobre requalification des faits puisqu’elles le concèdent : Farid Kharkhach a participé à la fourniture de trois fausses cartes d’identité en septembre 2015. Et non pas quatorze comme le lui ont reproché les juges instructeurs.

Farid Kharkhach, c’est un peu l’Ovni de ce procès. L’accusé qui ne connaît pratiquement aucun autre des accusés qu’il a appris à côtoyer, dans le box, durant ces plus de neuf mois d’audience. C’est l’accusé à la santé fragile, en proie à plusieurs phobies et bourré de tocs (troubles obsessionnels compulsifs). Lorsque vous allez le voir au parloir, il s’empare de vos feuilles et il les remet bien droites. Dans le box, vous l’avez vu M. le président, il nettoie la vitre avec une lingette, énumère Me Marie Lefrancq.

C’est encore l’accusé qui a fait un malaise le premier jour d’audience tant il ne supportait pas de comparaître dans cette enceinte​. Dans ce procès qualifié d’historique et de hors norme.

Mais ce père de deux garçons, qui aura 40 ans le mois prochain, a-t-il réellement alimenté la cellule belge en faux papiers ? Diplômé en informatique de gestion au Maroc où il est né, Farid Kharkhach vit en Belgique depuis son adolescence. Il y vit de petits boulots : intérimaire dans une société de nettoyage, dans une imprimerie, facteur, vendeur occasionnel de voitures… Mais aussi, de temps à autre, intermédiaire pour pouvoir fournir de faux papiers. Selon ses déclarations, il l’aurait surtout fait à l’intention de copains du quartier pour qu’ils trouvent du travail en Espagne​.

Seulement voilà, cette activité sous le manteau finit un peu par se savoir et Farid Kharkhach est mis en relation avec Khalid, l’un des frères El Bakraoui : à savoir deux des principaux logisticiens des attentats de Paris et Bruxelles qui se feront exploser, le 22 mars 2016, à Bruxelles.

Selon l’accusation, Farid Kharkhach ne pouvait ignorer la radicalisation de Khalid El Bakraoui au moment où celui-ci lui demande de faux papiers. C’est d’ailleurs ce qu’il finit par reconnaître lors d’une audition devant la juge antiterroriste belge, Isabelle Panou, en janvier 2017 : J’ai remarqué une modification dans son comportement lors des rencontres ultérieures en août et septembre 2015. Il regardait par terre et ne saluait plus de la même manière. Il était rentré à fond dans l’islam, déclare-t-il alors.

Mais selon Me Fanny Vial, ces aveux qui lui valent d’être poursuivi pour association de malfaiteurs terroriste, ont été obtenus dans des conditions particulières. Et sur l’insistance surprenante de son avocate d’alors. Mais surtout, il n’était pas possible que Farid Kharkhach ait vu Khalid El Bakraoui saluer de manière différente en août et septembre 2015, car à cette période, il est établi qu’il était au Maroc !

Sans effet de manche, en projetant plusieurs procès-verbaux sur l’écran géant de la salle d’audience, Me Vial s’attache ensuite à démontrer que son client n’a pas fourni tous les faux papiers de la cellule terroriste. Elle rappelle que les frères Belkaid (dont l’un d’eux sera tué alors qu’il était en cavale avec Salah Abdeslam) étaient en contact avec le réseau Catalogue : une filière de faux papiers démantelée peu avant les attentats. Il y a aussi des liens directs entre les frères Abdeslam et ce réseau, note-t-elle.

Et Me Vial de rappeler que son client n’était que l’intermédiaire d’un intermédiaire du faussaire. Or, si le 14 septembre 2015, des contacts téléphoniques entre Farid Kharkhach et cet autre intermédiaire établissent que le premier a bien participé à la fourniture de trois fausses cartes ce jour-là, les autres jours incriminés, il n’y a aucun contact entre ces deux hommes, plaide l’avocate.

Me Marie Lefrancq s’interroge : imagine-t-on Farid Kharkhach, lui qui est capable de vendre sa voiture pour envoyer de l’argent à sœur, lui qui scolarise ses enfants dans une école catholique alors qu’il est musulman de culture religieuse, apporter sciemment son aide à Khalid El Bakraoui ? C’est incohérent ! » Imagine-t-on également qu’il ait pu agir « par lâcheté et cupidité », comme le lui reprochent les avocats généraux ? Dans cette affaire, « il n’a reçu que 300€ ».

Les deux avocates demandent donc que les poursuites à caractère terroriste soient abandonnées et que leur client soit juste condamné pour la fourniture de trois faux papiers. Autrement dit, que leur client puisse désormais sortir de prison. Farid Kharkhach est en détention provisoire depuis cinq ans et trois mois…

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/au-proces-du-13-novembre-l-intermediaire-des-faux-papiers-sortira-t-il-bientot-de-prison-96e8925c-ed88-11ec-b46f-021c1e9ecf74