Au procès des attentats de Charlie Hebdo, les images du massacre des frères Kouachi diffusées

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Publié le 13/09/2022 18:48:24

Au procès en appel des attentats de janvier 2015, un expert psychiatre a laissé entendre qu’il était possible que l’accusé principal ne connaissait pas les projets terroristes du tueur de l’Hyper Cacher. En attendant la suite des débats, la cour a surtout visionné les insoutenables images de la tuerie de Charlie Hebdo.

La cour d’assises d’appel a bien visionné les images et vidéos des scènes de crime des attentats de janvier 2015 : notamment celles panoramiques montrant la tuerie perpétrée par les frères Chérif et Saïd Kouachi dans les locaux de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015.

Ce mardi, le président de la cour, Jean-Christophe Hullin, a toutefois demandé à chaque partie ce qu’elles pensaient d’un nouveau visionnage, ces images et vidéos, souvent insupportables, ayant déjà été projetées lors du procès en première instance, en 2020.

Cette projection me paraît indispensable. Mais vous comprendrez qu’un certain nombre d’entre nous n’y assisterons pas​, indique Me Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo. La réalité doit être vue dans son intégralité​, confirme Me Marie-Laure Barré, avocate de plusieurs parties civiles liées à l’attaque terroriste de Charlie Hebdo.

Me Laurence Cechman, avocate de plusieurs parties civiles liées à l’Hyper Cacher, émet malgré tout une réserve : que les images prises par le terroriste, dans le magasin, avec sa caméra Go, Pro ne soient pas diffusées. Et ce, d’autant plus qu’Amély Coulibaly n’est pas dans le box​, précise l’avocate.

Sans surprise, les avocats de la défense s’y opposent. Cela n’apportera rien. Il n’y aura aucun élément sur la culpabilité ou l’innocence de ces deux accusés​, estime Me Yves Leberquier, avocat d’Amar Ramdani, un des deux condamnés ayant fait appel du premier jugement avec Ali Riza Polat.

L’avocat a une autre crainte : que ces images insoutenables, même pour des magistrats professionnels, n’obscurcissent un peu votre jugement​.

Mais après délibération, la cour d’appel décide de projeter les mêmes photos et vidéos qu’en première instance. Exception faite donc de celles tournées par Amédy Coulibaly.

Ces vidéos ont été diffusées en fin d’après-midi. Le président demande aux personnes qui préféreraient sortir que c’est le moment de quitter la salle. Quelques-unes le font. La première vidéo, issue des caméras de vidéosurveillance, montre l’arrivée des frères Kouachi. Kalachnikovs à la main, ils poussent la dessinatrice Coco qui sera contrainte de débloquer la porte donnant dans la salle de rédaction. Dans cette entrée, Saïd Kouachi tire également sur le webmaster Simon Fieschi qui était assis sur une chaise. Il sera très grièvement blessé mais s’en sortira.

Durant une minute et 49 secondes, seule la tête cagoulée de Saïd Kouachi apparaît à l’écran. Son frère Chérif, lui, est à l’intérieur où il commet le massacre. Ce sont les images suivantes. Des images panoramiques prises par les enquêteurs qui montrent la scène de crime alors que les corps des victimes sont encore présents. Dans la salle d’audience, le silence est total.

Le corps de Charb est là, allongé sur le ventre dans une mare de sang. L’enquêteur reprend la parole comme pour ramener un peu de vie dans cet instant insoutenable. Mais ces commentaires sont glaçants. Il explique que Wolinski a été tué par des balles qui l’ont touché d’avant en arrière, mais aussi d’arrière en avant. Autrement dit, il a été abattu pour ne pas dire exécuté. Ce sera le cas d’autres victimes comme l’économiste Bernard Maris. Chérif Kouachi a tiré à 33 reprises dans la salle de rédaction et celles d’à côté. Parfois à moins de 10 cm des victimes.

Une autre vidéo saisit aux tripes. Celle de la mort du policier Ahmed Mérabet alors que les frères Kouachi prennent calmement la fuite. Des échanges de coups de feu ont eu lieu avec les policiers. Ahmed Mérabet est touché, gît au sol. Les deux frères courent vers lui. On voit le policier se tourner vers ses assaillants. Il lève le bras comme pour se protéger. L’un des deux frères tire en passant. Un coup. Les deux terroristes ne s’arrêtent pas, ne regardent même pas leur victime. Ils poursuivent leur chemin…

Dans la salle d’audience, plusieurs ont beau connaître ces scènes, avoir déjà vu ces images, la violence de celles-ci sidère toujours. Amar Ramdani se tient la tête dans les mains ; Ali Riza Polat a abandonné sa posture désinvolte. Difficile de reprendre le cours de l’audience…

Et pourtant… Quelques heures auparavant, les experts psychiatres et psychologues ont été entendus sur les deux accusés. Si aucun des deux ne souffre d’une quelconque maladie mentale, le Dr Roland Coutanceau se laisse aller à une hypothèse concernant Ali Riza Polat, 37 ans, condamné à 30 ans en première instance pour avoir été le complice d’Amédy Coulibaly. Le psychiatre s’interroge s’il était possible de fréquenter Amédy Coulibaly « sans savoir ce qu’il avait dans la tête. Je le dis avec prudence : la réponse théorique est oui.

La remarque ne manque pas de faire sursauter les deux avocates générales. L’une d’elles se demande aussitôt sur quels éléments se base l’expert pour émettre un tel avis. Prenez-vous en compte tous les éléments contenus dans le dossier : par exemple la fréquence de ses relations avec Amédy Coulibaly ?​, questionne l’avocate générale. Je dis ça avec mesure​, répond prudemment l’expert.

Me Alain Jakubowicz, avocat de parties civiles, revient à la charge. Il cite une phrase d’Ali Riza Polat dite à l’expert, lors de son examen : Je me fous royalement des gens. Je me fais ma vie. ​Et l’avocat de se demander : Cette phrase ne résume-t-elle pas tout ? Polat sait qu’Amédy Coulibaly va tuer, mais il s’en fout… ​Là encore, le psychiatre nuance : Il pourrait s’en foutre. Cela ne veut pas dire qu’il s’en fout. Je préfère garder le conditionnel…

L’un des avocats de l’accusé, Me Rachid Madid, apprécie, lui, cet avis inattendu de l’expert. Il rappelle que la sœur et la mère d’Amédy Coulibaly n’avaient pas connaissance des dérives radicales et terroristes de leur fils et frère. Dans l’absolu, on peut être proche de quelqu’un sans savoir ce qu’il y a dans sa tête.

La défense vient de marquer un point. Mais cela suffira-t-il lorsque la cour examinera les liens étroits entre Amédy Coulibaly et Ali Riza Polat ?

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/au-proces-de-charlie-hebdo-le-massacre-des-freres-kouachi-diffuse-en-images-5797fcf2-3372-11ed-8dd8-fdb9fa809eb1