Attentat de Karachi : le juge d’instruction demande à Emmanuel Macron de lever le secret-défense

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Publié le 16/09/2022 17:00:22

Le magistrat coordonnateur du pôle antiterroriste comme les parties civiles souhaitent que les documents fournis par les différents ministères ne comportent plus aucune censure. Cette transparence pourrait aider à éclairer les circonstances de l’attaque qui a causé la mort de onze Français en 2002 au Pakistan.

Un juge d’instruction qui prend la plume pour s’adresser au président de la République, voilà qui n’est pas si fréquent. Le 25 août dernier, le juge David De Pas, coordonnateur du pôle antiterroriste, a écrit à Emmanuel Macron. Son but : obtenir la levée du secret-défense de la totalité des documents susceptibles d’éclairer les circonstances de l’attentat de Karachi, au Pakistan, qui a fait quatorze morts, dont onze Français employés de la Direction des constructions navales, le 8 mai 2002.

Vingt après ce drame, la justice peine à connaître la vérité. Et la réticence des différents ministères à jouer le jeu de la transparence ne l’aide guère. Selon le juge antiterroriste, obtenir ces informations apparaît « déterminant ».

Deux procédures distinctes

L’enquête sur cet attentat a donné lieu en France à deux procédures distinctes. D’abord, une instruction financière sur des soupçons de rétrocommissions versées en marge du contrat signé par la France pour livrer des sous-marins au Pakistan et qui auraient bénéficié à la campagne présidentielle d’Édouard Balladur en 1995. Plusieurs de ses anciens collaborateurs ont été lourdement condamnés en 2020 (ils ont fait appel) tandis que l’ancien Premier ministre a été relaxé par la Cour de justice de la République.

La seconde instruction, pilotée par un juge terroriste, porte sur l’attentat en lui-même. Si le premier magistrat saisi, Jean-Louis Bruguière, avait privilégié la piste Al-Qaïda, son successeur, Marc Trévidic, a émis l’hypothèse que l’attaque ait pu être une vengeance tardive consécutive à l’arrêt du versement des commissions décidé par Jacques Chirac lors de son élection en 1995.

Cette enquête terroriste a connu une avancée récente sur son volet homicides et blessures involontaires, c’est-à-dire sur les conditions de sécurité entourant les salariés. Le 27 juin dernier, deux anciens cadres de la DCN ont été mis en examen, soupçonnés d’avoir « sous-évalué » les risques et validé un protocole de sécurité « inadapté ». En revanche, sur le volet attentat en tant que tel, les investigations patinent.

Des documents caviardés « totalement inexploitables »

Afin d’éclairer son enquête, le juge Trévidic a demandé un certain nombre de pièces à Matignon et aux ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Intérieur. « De nombreux documents protégés au titre du secret de la Défense nationale ont été communiqués, mais généralement selon des modalités qui rendent totalement inexploitables les éléments transmis », déplore dans ce courrier, dont le Parisien - Aujourd’hui en France a pris connaissance, le juge David de Pas, qui a repris le dossier en 2015. En clair : les documents transmis étaient tellement caviardés qu’ils ont perdu toute pertinence.

« Les victimes se sont une nouvelle fois émues des conditions dans lesquelles les documents déclassifiés ont pu être transmis par le passé et m’ont demandé de m’adresser directement au président de la République afin d’obtenir des éléments plus complets », poursuit le magistrat qui a reçu les parties civiles le 22 avril dernier. C’est le sens de cette « requête en déclassification aux fins de communication d’informations ».

Dans son courrier au Président de la République, le juge De Pas fait référence à une demande d’acte formulée cet été par Me Olivier Morice, qui défend plusieurs parties civiles. « Malheureusement, force est de constater que depuis vingt ans les familles attendent désespérément que la vérité éclate et que l’omerta cesse enfin sur les circonstances exactes et les mobiles qui entourent cette tragédie », déplore l’avocat parisien dans cette demande où il invite précisément le juge d’instruction à solliciter le locataire de l’Élysée.

Dans un audit de sécurité, seulement 5 pages déclassifiées sur 137

Le juge antiterroriste dit partager les termes de cette requête « concernant les carences dans la transmission de divers documents ». Le magistrat insiste notamment auprès d’Emmanuel Macron sur l’audit de sécurité remis par la Direction générale de la gendarmerie nationale au ministère de la Défense au lendemain de l’attentat de Karachi : seules 5 de ses 137 pages ont été déclassifiées !

« Il est véritablement déterminant, à cette distance de l’événement, que la justice puisse enfin obtenir complète communication de tout élément de fond utile en lien avec cet attentat sanglant », conclut le juge De Pas.

« À ce stade, la présidence de la République n’a pas reçu de courrier correspondant à cette demande », indique l’Élysée. « La loi prévoit des procédures bien précises par lesquelles les juridictions peuvent formuler des demandes de déclassification soumises à l’avis de la commission du secret de la défense nationale », poursuit la Présidence. Cette instance n’a toutefois qu’un avis consultatif.

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Source : https://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-karachi-le-juge-dinstruction-demande-a-emmanuel-macron-de-lever-le-secret-defense-16-09-2022-ULC67TNY3RFZTH36EDSURFGWJI.php