13-Novembre : « Vous n’aurez pas ma haine » ? Cela dépend…

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Publié le 07/06/2022 18:35:02

Plusieurs victimes l’ont répété au procès des attentats du 13-Novembre : « Vous n’aurez pas ma haine. » Mais ce n’est pas le cas de toutes car chaque victime, face à la souffrance, « fait comme elle peut », a rappelé une avocate.

Les paroles des victimes, ce n’est pas toujours beau et résilient​, nuance Me Claire Josserand-Schmidt.Pour la dernière journée consacrée aux plaidoiries des parties civiles, au procès des attentats du 13 novembre 2015, plusieurs avocats sont venus rappeler que les victimes étaient plurielles. Par le nombre évidemment : plus de 2 500 personnes se sont constituées parties civiles. Mais aussi par leur diversité. Leur façon de surmonter la souffrance et de vivre ce procès varie d’une victime à l’autre.

Retrouvez notre direct à l’audience du mardi 7 juin 2022 au procès des attentats du 13 novembre 2015.

Il y a celles qui ont été capables de dire aux accusés : Vous n’aurez pas ma haine. ​Mais ce n’est pas le cas de toutes. Il y a celles qui n’ont pas eu la force de venir au procès. C’est si joli, la résilience. Ça plaît à tous. Ça fait : J’ai souffert, j’ai enduré, en bonne victime qui morfle, mais je relève la tête, j’ai des ressources, j’ai mon Boris Cyrulnik sur la table de chevet et je souris avec dignité à la barre​, pourfend Me Dorothée Bisaccia-Bernstein.

Or, beaucoup de victimes portent encore de la colère, de la honte, de la culpabilité… Et comment pourrait-il en être autrement ? Eh oui, on a parfois eu peur de regarder cette terreur en face​, déplore Me Bisaccia-Bernstein. Elle est notamment l’avocate de Benjamin qui, le 13 novembre 2015, s’est retranché dans une cabine de WC au Bataclan. Toute petite pièce, minuscule. Ils étaient cinq à s’être réfugiés à l’intérieur. Entassés. Benjamin a broyé les ampoules pour qu’aucune lumière ne filtre à travers la porte.

Mais d’autres spectateurs sont venus frapper à la porte. Ouvrez-nous ! Au secours ! ​De l’autre côté de la porte, ces cinq-là n’ont pas ouvert, redoutant que ce soit une ruse des terroristes. Il faut vivre avec ça, après. Qu’on ne vienne pas leur parler de résilience​, de haine que vous n’aurez pas​. Fichez-leur la paix. Ils ont la haine qu’ils peuvent. La peur qu’ils peuvent. Ils font ce qu’ils peuvent », ​insiste Me Bisaccia-Bernstein.

J’ai eu l’impression que la haine et la colère des victimes n’ont pas eu de place à cette barre. On leur a préféré la résilience… N’imposons pas aux victimes d’être raisonnables​, implore Me Daphné Pugliesi qui reste convaincue que quelles que soient les souffrances des victimes, ces dernières se réuniront autour de votre décision. Car comme vous le savez, le droit est le dernier rempart démocratique.

Au-delà de la haine, des victimes ont la peur qu’elles peuvent. Celle qui ne vous lâche pas, qui vous maintient sur vos gardes à chaque seconde. Amar, serveur souriant, fait partie de ceux-là. Il servait au Carillon le soir des attentats. Avec son cousin, chacun d’un côté du comptoir, il a survécu aux tirs de kalachnikov. Près sept ans plus tard, Amar sert toujours avec le sourire mais en traquant le moindre bruit anormal. Il y a quelques jours, un plateau de verres est tombé. Amar est parti en courant. Les gens autour ont ri. Ils ne savent pas tout​, soupire Me Aurélie Cerceau.

Mais parmi les victimes, il y a aussi celles qui reconnaissent des sentiments d’ambivalence. Au sujet d’une de ses clientes, Me Laurent Ivaldi relate qu’entendre les excuses de Salah Abdeslam lui a fait du bien. Elle veut croire que ce qui a été dit, était sincère. Elle n’est pas dans le pardon. Elle souhaite que votre décision de justice renoue avec notre part d’humanité.​

Des victimes souhaiteraient parler avec Salah Abdeslam. Sachez-le​, insiste Me Josserand-Schmidt à l’intention de la cour. Cette avocate qui était parvenue à faire parler le principal accusé du procès, un jour où il avait décidé de se taire, estime vital le dialogue qui peut s’instaurer entre victimes et accusés. Interroger Salah Abdeslam, pour certaines victimes, c’était essentiel. Pour elles, tenter de comprendre relève d’une incorrigible foi en l’être humain. Le mutisme de certains accusés est au contraire indigeste, inacceptable​, se désole-t-elle, même si elle convient, avec Me Cerceau, qu’il s’agit de leur droit. Mais à quel prix pour les victimes ?

Aussi, en cette dernière journée de plaidoiries, Me Dan Hazan, au nom de l’Association française des victimes du terrorisme, estime que la culpabilité doit cesser d’être un sentiment. Elle doit être une décision de justice. Et vous allez la rendre !

Les réquisitions débutent demain mercredi et dureront trois jours.

Crédits image et texte : Ouest France©
Source : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentats-paris/proces/13-novembre-vous-n-aurez-pas-haine-cela-depend-096b7336-e66c-11ec-a123-03657fcca7a8