«Le jour, j’étais un bon flic, le soir, j’endossais le rôle d’Haurus» : la confession du policier de la DGSI qui vendait des infos sur le Darknet

logo Le Parisien illustration «Le jour, j’étais un bon flic, le soir, j’endossais le rôle d’Haurus» : la confession du policier de la DGSI qui vendait des infos sur le Darknet

Publié le 15/06/2021 19:59:11

Au premier jour de son procès devant le tribunal correctionnel de Nanterre, l’agent de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a raconté comment il a basculé. Et s’est lancé dans des recherches illégitimes dans les fichiers de police pour livrer des informations confidentielles contre de l’argent.

« Le jour, j’étais un bon flic, le soir, j’endossais le rôle d’Haurus. » Haurus, le pseudonyme sous lequel se cachait un policier de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sur le Darknet, pour faire commerce des informations confidentielles auxquelles il avait accès depuis le bunker des services de renseignements, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).

Jugé depuis ce mardi et jusqu’à vendredi, cet homme de 35 ans au regard net s’est longuement expliqué à la barre. Carrure de viking, ce Normand au visage rond, cheveux très courts, n’a pas flanché face au tribunal. Il assume ce qu’il analyse comme « une dérive », « un engrenage » dont le mobile n’était que financier.

Pour tenter de comprendre comment et pourquoi le fonctionnaire de police a basculé, la présidente du tribunal a d’abord voulu savoir ce qui l’a mené à la DGSI. Fils de gendarme, il a intégré l’école de police en 2008, s’est occupé quelques années des enquêtes sur les délits routiers à Paris. Puis, il a voulu rejoindre la prestigieuse brigade criminelle mais a finalement postulé à la DGSI, en 2016. « J’étais dans l’unité judiciaire où j’étais enquêteur en contre-terrorisme, spécialisé dans l’islam radical. »

«Je me suis convaincu que ce n’était pas si grave que ça»

Le temps de se familiariser avec la matière, d’obtenir son matricule d’anonymisation, Haurus, qui n’existe pas encore comme tel, enquête alors sur une famille dont un membre, détenu à Nanterre, commande des actions terroristes depuis sa cellule. « Je me rends compte qu’il y a aussi des escroqueries dans cette famille, déroule le prévenu à la barre. Cela nécessite d’investiguer sur le Darknet. »

Sur le réseau Internet occulte, le policier se crée un profil avec le pseudo Baudelaire93, se balade sur les forums et sur la partie « market », où il repère un dénommé Jojodelavega. « Il proposait des cartes grises. J’ai pris contact avec lui. Après, j’ai cogité quelques jours… Et je me suis dit, bon, deux trois cartes grises sur la masse… La tricoche dans la police nationale, c’est assez répandu, je me suis convaincu que ce n’était pas si grave que ça. »

Baudelaire93 recontacte alors Jojodelavega, qui le teste sur un permis de conduire. « Il m’a donné un numéro, le lendemain je lui ai donné le nom de la personne. » Et voilà. Pendant des mois, Baudelaire93 répond aux commandes de Jojodelega. « Par exemple, pour un permis, il m’envoyait un profil type : 1,85 m, tel âge, telle région. Et moi, je recherchais dans le fichier TAJ (NDLR : traitement des antécédents judiciaires) une personne correspondant le mieux au profil. »

Peu à peu, le flic à double face livre des factures détaillées de téléphone, voire des géolocalisations, des antécédents judiciaires… « Comme tout officier de police judiciaire, j’ai accès à tous les fichiers de police. »

Des morts après la vente d’informations

Puis, quand Jojodelavega disparaît du Darkweb fin 2017, le policier reprend son business. « C’est là que je me suis créé une nouvelle identité numérique, Haurus. Et j’ai créé mon shop. » Une véritable boutique en ligne, conçue comme pour le commerce légal, où Haurus propose d’identifier quiconque avec une plaque d’immatriculation, de fournir des adresses, de cerner tout l’entourage d’une personne…

« Sans limitation de mobile ? » l’interroge la présidente. « Ça ne faisait pas partie des conversations », élude le prévenu à la barre. « Finalement, vous auriez pu renseigner un terroriste qui serait allé poser une bombe chez quelqu’un ? », le relance-t-elle. « Oui. Mais je ne me suis pas posé de questions morales. Sinon, je ne l’aurais pas fait. »

Donc, si les informations qu’il a livrées à un de ses meilleurs clients sur des membres du banditisme marseillais ont conduit à des assassinats, ça ne le regarde pas, considère Haurus. Même si cinq hommes ont été tués après qu’il a renseigné son client, également jugé cette semaine. Dans ce volet marseillais, tous deux sont mis en examen dans une instruction distincte.

Paiement en cryptomonnaie

« Il y a aussi les personnalités connues », poursuit la présidente. « Denis Olivennes, je ne savais pas qui c’était. Laure Boulleau, non plus. » Et Christelle, qui accuse Tarik Ramadan de l’avoir violée ? « Je l’ai identifiée, reconnaît Haurus. Mais cette info n’a pas été vendue parce que celui qui m’a demandé la recherche, Bidule7575, a annulé la commande. »

Pour chaque prestation, le flic aux deux visages réclamait de 100 à 300 euros, 800 euros si la recherche était compliquée. « J’étais payé en bitcoins », précise-t-il. Ce qui fait que l’on ne saura jamais combien ce business lui a rapporté. Lui avance quelques dizaines de milliers d’euros seulement. En un an et demi, il a fait au moins 400 recherches illégitimes dans les fichiers policiers, d’après les enquêteurs.

En ce premier jour d’audience, le tribunal s’est concentré sur le détournement de la finalité des fichiers de police. Ce mercredi, il examinera le volet faux documents administratifs. Car quelques mois avant son arrestation, en septembre 2018, Haurus s’est diversifié en proposant et fabriquant des faux papiers.

Crédits image et texte : Le Parisien©
Source : https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/haurus-le-policier-de-la-dgsi-qui-vendait-des-informations-sur-le-darknet-sexplique-a-la-barre-15-06-2021-AF5A67D52FANDJGCLGFTHS6S7M.php