« Je veux qu’on sache qui je suis » : des détenus de Reims échangent des lettres avec des inconnus

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Publié le 25/04/2023 07:56:41

Un atelier d’écriture et de correspondance a été mis en place depuis le début de ce mois d’avril à la Maison d’arrêt de Reims. Loin des clichés, il s’agit de déstigmatiser et de lever les tabous sur la détention.

14 heures, le jeudi 20 avril 2023, passé les portes imposantes de la Maison d’arrêt de Reims, au deuxième étage, dans la salle d’activités, se tient un nouvel atelier. Proposé par Agathe Cèbe de la maison d’édition rémoise Fulbert First en collaboration avec les équipes du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) de Reims, cet atelier épistolaire accueille, ce jour-là, 6 détenus. Résultant d’un appel à texte national lancé en janvier 2023 par l’éditrice rémoise, ce travail écrit est organisé en session de 3 heures, à raison de deux séances par semaine.

« J’ai reçu 12 lettres, de profils totalement différents. Des professionnels de l’écriture, des amateurs, de tous âges, hommes et femmes qui ont souhaité écrire de l’extérieur vers une personne de l’intérieur. Ces lettres ont ensuite été distribuées aux participants, tous volontaires. » Parmi les détenus inscrits, des hommes âgés de 20 à 65 ans, de profils et niveaux d’études, culturels différents, ayant pour certains abandonné « la promenade » autorisée au profit de l’écriture.

Lever les tabous

Munie d’une alarme portative individuelle, qu’on appelle API dans le jargon carcéral, obligatoire pour les intervenants, Agathe distribue feuilles, stylos, et les lettres reçues. Ces lettres anonymes, reflet d’une vie que l’on n’a plus, obtiennent une réponse des détenus lors de chaque atelier. Pendant 3 heures, on écrit à des inconnu(e) s, on y parle de tout, de politique, d’actualités, « Pourquoi faire la guerre ? », de voyages rêvés : « J’aimerais voyager, l’Égypte et les Pyramides, maintenant qu’on bâtit des gratte-ciel de 1 000 m de haut », de parcours intimes, de vies brisées, d’enfants qu’on ne peut plus serrer sans dans ses bras.

« Il s’agit de créer du lien, de déstigmatiser les détenus, de lever les tabous de la détention, de remettre l’humain au centre de l’échange. S’ouvrir à l’autre, sans savoir qui il est, par le biais de l’écriture, c’est aussi une façon de déverrouiller des émotions profondément nouées », insiste Agathe Cèbe.

Agissant comme une catharsis, ces lettres, corrigées par l’éditrice et contrôlées par les services du SPIP - il n’est pas question de porter un jugement à charge contre l’administration pénitentiaire - sont aussi un moyen de lutter contre les clichés tenaces et l’invisibilité attenante à la détention. « Je veux aussi montrer que j’ai fait des choses positives, je veux que l’on sache qui je suis », affirme G., détenu participant à l’atelier, qui a décidé de signer toutes ses lettres.

D’autres comme A., y trouvent un moyen de survie : « Je lis beaucoup, là, je suis en train de lire Stephen King, Maxime Chattam, on m’a conseillé de lire des souris et des hommes de Steinbeck. J’écris beaucoup de poésie, de slam. La lecture, l’écriture c’est ma nourriture, sinon je meurs. »

Un livre en juin 2023

Menée conjointement avec les services du SPIP, (qui travaille toujours en collaboration avec la Maison d’arrêt de Reims), cette activité témoigne de la volonté de mener des actions socioculturelles permettant de faciliter le retour à la vie citoyenne, mais aussi de pouvoir laisser une trace indélébile, ce qui n’est généralement pas le cas lors de la tenue d’activités hebdomadaires.

« C’est ce qu’on appelle un travail du dedans - dehors. On a l’habitude de faire venir des intervenants extérieurs qui produisent un service à destination des détenus mais dont les créations ne ressortent pas. L’idée, avec cet atelier, c’est d’ouvrir le champ, d’avoir un apport en dehors de la détention », explique Nicolas Mignot, chargé de mission départementale de l’antenne du SPIP de Reims.

C’est aussi l’idée de la mise en place de ce travail de correspondance qui doit permettre l’édition d’un recueil, publié par les éditions rémoises Fulbert First en juin 2023 dont les bénéfices de la vente seront reversés à l’association ASSOR pour Accueil Solidaire et Social Ozanam de Reims, association qui vient en aide aux personnes en extrême précarité, choisie par les détenus.

Touchant du doigt l’idée d’une justice restaurative, cet atelier d’écriture qui tient aussi de lieu d’écoute pour ceux que l’on range parmi les « oubliés » devrait s’étendre à la Maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne, afin de pouvoir publier une « anthologie » des paroles des détenus dès 2024.

D’autres sessions sont prévues, avec d’autres inscrits, en août et en octobre, à la maison d’arrêt de Reims.

Crédits image et texte : Le Parisien©
Source : https://www.leparisien.fr/marne-51/je-veux-quon-sache-qui-je-suis-des-detenus-de-reims-echangent-des-lettres-avec-des-inconnus-25-04-2023-ODOVDHWSYBFC3LRFOSIK3L7PPM.php